Bauer out ! Le Sarkozystan perd un de ses pions

mis en ligne le 13 septembre 2012
Le surmédiatique Alain Bauer, autoproclamé « criminologue », ami et conseiller de Nicolas Sarkozy, débonnaire propagandiste télévisuel de la bonne parole gouvernementale en matière de sécurité (du temps de Guéant et compagnie), vient de se prendre une grosse baffe. Eh oui, Sarkozy n’est plus, et certaines de ses taches de gras sur la nappe à carreaux de la République vont faire la dure expérience de la paille de fer…
Bauer fait partie de la petite poignée d’« experts » et d’intellectuels de cour qui encombrent télés, radios et journaux, complaisamment sollicités pour dire « kommensamarche et koikifaufaire » au bon peuple. Yves Calvi, animateur de l’émission « C dans l’air » sur la chaîne de « service public » France 5, l’invite à qui mieux mieux et quand ce n’est pas Alain Bauer, c’est Xavier Raufer qui y tient le crachoir sécuritaire. Les deux hommes sont des proches, les deux faces de la même médaille. Raufer, également autoproclamé « criminologue » et « expert en terrorisme », est connu pour ses idées relevant de la droite la plus dure (malgré une atténuation tactique de ses années passées à Occident et à Ordre nouveau et sa proximité d’antan avec les revues Élite européenne et Défense de l’Occident) et pour son obsession : la collusion du banditisme et du terrorisme international. Pour ne mentionner que deux faits récents à son sujet, sa participation active et motivée en février 2011 à un débat organisé par une organisation liée au Vlaams Belang, parti d’extrême droite flamand ; sa défense d’Éric Zemmour, condamné pour provocation à la discrimination raciale.
Mais cette valorisation médiatique (sans doute lucrative car servant notamment à faire vendre leurs nombreux livres et à auto amplifier leur légitimité : si on les voit à la télé, c’est qu’il sont « crédibles », s’ils sont « crédibles », on les invite davantage, etc. – effet boule de neige) ne suffit pas à nos deux défenseurs de la veuve et de l’orphelin. Il leur faut aussi devenir des autorités académiquement reconnues du domaine dont ils se sont fait les hérauts, une criminologie visant à faire admettre que l’insécurité de basse intensité est partie liée à la criminalité organisée, au terrorisme, à la géopolitique des conflits de « civilisations », réclamant par conséquent un arsenal répressif à la hauteur. Ce n’est pas sans ironie que, comme le rappelle le sociologue Laurent Mucchielli, Raufer a pu signer des papiers, dans Valeurs actuelles par exemple, d’un ronflant « professeur de criminologie à l’université Paris 2 », se rendant de fait hors la loi, puisque usurpant un titre universitaire qu’il n’avait pas.
Pour atteindre ce but, il fallait manœuvrer pour que le Conseil national des universités (CNU), l’instance décisionnaire en la matière, intègre la criminologie dans les disciplines enseignées en tant que telles à l’université, pour lesquelles il faut donc recruter des enseignants, donc créer des postes… auxquels ils auraient pu prétendre. Le Sarkoland fut le moment d’aubaine de ce dessein égotique. Bauer avait l’oreille attentive du grand chef des flics de France. Et, en mars 2009, un décret présidentiel nomme Bauer professeur de « criminologie appliquée » au Conservatoire national des arts et métiers. Une première en France. Mais c’est encore insuffisant, il faut que tout cela soit revêtu du vernis de scientificité auquel aspirent les aspirants à une criminologie d’état. Le problème est qu’il existe un décalage énorme entre la notoriété médiatique et le soutien politique accordé à ce petit monde et la reconnaissance par les milieux universitaires sérieux, qui ne veulent pas valider les gesticulations sécuritaires de ce que Mathieu Rigouste appelle la « bande à Bauer » 1. Qu’à cela ne tienne, en mars 2012, Laurent Wauquiez, alors ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, petite voix de son maître, a imposé une section « Criminologie » au CNU. Le changement politique de mai 2012 n’a pas laissé le temps d’en profiter aux bénéficiaires de cette magouille, puisque le ministère vient de supprimer cette section indue.
Gageons toutefois que Yves Calvi et François Taddei – qui lui aussi invite fréquemment Bauer et Raufer dans son émission sur France 3 –, au nom de la sacro-sainte liberté d’expression, leur offriront « l’asile politico-médiatique » sur les plateaux de la télévision d’État.







1. M. Rigouste, Les Marchands de peur, la bande à Bauer et l’idéologie sécuritaire, Libertalia, 2011.