Exploitation sans frontières

mis en ligne le 21 juin 2012
1678ExploitationOn s’en était déjà aperçu, la crise a bon dos en Espagne comme ailleurs. Coupes budgétaires dans les services publics, licenciements, baisse des salaires, des indemnités, des pensions, expulsions des logements quand les emprunts ne peuvent plus être remboursés… Les banques en difficulté (les pauvres !) se font renflouer par les États ou leurs organismes (BCE…) et pendant qu’elles jouent à qui perd gagne, la population se débat au quotidien pour vivre (ou plutôt survivre) et parer comme elle le peut les coups du capitalisme pur et dur. En Andalousie, le patronat a depuis longtemps recours autant que possible aux délocalisations 1 sans pour autant renoncer à exploiter sur place une main-d’œuvre immigrée corvéable à merci. Nous avons déjà consacré plusieurs articles à ce sujet dans les colonnes du Monde libertaire, et une fois de plus les ouvriers agricoles de la région d’Almería se rappellent à notre souvenir. Les dernières grèves étaient surtout animées par le SOC-SAT 2 ; Spitou Mendy, son porte-parole à Almería, nous informe des dernières pratiques en cours dans les entreprises agricoles de la région, qui consistent à licencier les travailleuses accumulant ou risquant d’accumuler plus de cinq ans d’ancienneté. Deux multinationales se sont distinguées dans ce genre de procédures, la première, New England Growers, a récemment licencié quatre travailleuses marocaines au motif qu’elles auraient commis des erreurs dans le conditionnement de fruits et légumes destinés à l’exportation (et tant pis si les ouvrières en question ne travaillaient pas dans le secteur conditionnement, mais à la récolte de ces fruits et légumes !). La seconde, que nous connaissons bien 3, est Biosol Portocarrero, qui elle aussi a tenté de licencier des travailleuses également marocaines, mais a été forcée de les réintégrer grâce à l’action du SOC. Toutefois, si ces travailleuses ont récupéré leur emploi, elles n’ont pas récupéré le salaire correspondant à leur poste. Le marché qui leur est mis en mains est très clair : pour bénéficier des mêmes avantages que leurs collègues effectuant le même travail, elles doivent quitter le syndicat et renoncer à toute revendication ultérieure !
Face à cette situation, pour dénoncer tous les autres abus que subissent les travailleurs immigrés d’Almería, le SOC a organisé un rassemblement devant le siège d’Asempal, l’organisme patronal regroupant les entreprises – toutes activités économiques confondues – de la province d’Almería. Détail intéressant, le SOC a été rejoint dans cette initiative par le mouvement du 15 M (Indignés d’Almería), et appuyé par la CGT espagnole (anarcho-syndicaliste) et l’Ustea (Union syndicale des travailleurs andalous) ; à noter aussi que le 12 mai, journée internationale des Indignés, ces derniers avaient reçu en Andalousie l’appui de la CNT, de la CGT, du SOC d’Ustea et du CO.BAS (comités de bases).
Ce rassemblement devant le siège d’Asempal a donc été une démonstration unitaire, rappelant au patronat que les effets de la crise et l’instabilité des prix de la filière fruits et légumes ne justifient en aucune manière les licenciements massifs et le turn-over constant des travailleurs, permettant aux employeurs de maintenir une pression sur ceux-ci, et de leur faire accepter des conditions de travail et des salaires bien en dessous de ce qui est prévu par la législation du travail (qui est déjà la moins protectrice d’Espagne pour les salariés).
Les syndicats ont dénoncé le harcèlement exercé par les employeurs sur leurs salariés pour les détourner des syndicats et les empêcher de créer des sections d’entreprises.
La province d’Almería voit se développer sans cesse des concentrations de terres aux mains de méga-entreprises (espagnoles ou étrangères). Entreprises qui n’hésitent pas dans le même temps à délocaliser au Maroc pour profiter du prix encore plus bas de la main-d’œuvre et des conditions sociales plus défavorables, et ceci évidemment dans le but de faire encore plus de bénéfices.
Raté chez New England Growers et Biosol Portocarrero où le SOC a réussi à obliger les dirigeants à transformer les emplois précaires en emplois fixes et à accepter la création d’une section syndicale. Dans la foulée, le SOC a organisé une manifestation à Madrid devant le siège du Parti socialiste ouvrier espagnol (qui dirige toujours le gouvernement andalou). Manifestation là aussi unitaire avec la CNT et la CGT en soutien aux travailleurs agricoles chassés de la finca de Somonte 4 qu’ils occupaient et exploitaient collectivement, alors que le PSOE a choisi, lui, de vendre aux enchères ce bien public à des intérêts privés. Gouvernants de gauche ou de droite, les intérêts sont toujours des intérêts de classe, et ceux des travailleurs sont continuellement bafoués par les politiciens qui prétendent les représenter. Donc pas grand-chose à attendre de ce côté-là, mieux vaut investir dans les luttes.
Un dernier pour la route : au cours d’une conférence de presse, la CGT espagnole a lancé un appel à toutes les autres centrales syndicales, qu’elles soient révolutionnaires ou institutionnelles, en vue d’organiser cet automne une grève générale à l’échelon national. D’ici là, ce n’est pas la tourmente provoquée par le désastre financier de Bankia (et d’autres banques) qui risque de rassurer l’opinion et d’éteindre les foyers de révolte.








1. Voir Le Monde libertaire n° 1675 et 1676.
2. SOC-SAT : Syndicat des ouvriers agricoles- Syndicat andalou des travailleurs.
3. Voir Le Monde libertaire n° 1633.
4. Voir Le Monde libertaire n° 1666.