J’me fous du drapeau noir

mis en ligne le 31 mai 2012
C’est comme ça, je n’y peux rien, je suis homme de couleurs et j’ai beau savoir que le noir peut en être la somme (des couleurs), il ne me plaît pas. Il ne me plaît pas parce qu’il est noir, et parce qu’il est drapeau. Parce que des fascistes peuvent s’en emparer ? Aussi. En fait, je ne supporte plus de voir des gugusses agiter quelque drapeau que ce soit. Les drapeaux sont tous des repoussoirs, tous sont agressifs. Identifiant un groupe, ils excluent les autres. Je n’aime pas le regard de celles et ceux qui voient le drapeau noir. Il y a de la crainte, souvent. Je n’ai pas envie de faire peur, sauf à mes ennemis, les vrais. Dans un dernier numéro du Monde libertaire, une photo avec un flic et un anarchiste à un coin de rue, invisible l’un à l’autre, tous deux habillés de noirs, le visage en partie masqué. L’anar agite un drapeau devant le flic comme un torero devant le toro. Je n’aime pas la corrida. Je n’aime pas les poses viriles, je n’ai pas envie de rouler des épaules. Je trouve cela ridicule, souvent. Et si je ne tiens pas à effrayer, je n’ai non plus envie d’inspirer la pitié.
L’humour, oui. Faire rire en politique, pourquoi pas, même à mes dépens, mais jouer les matamores, non ! Cela ne trompe personne, surtout cela ne doit pas nous tromper nous-mêmes.
Ni individuellement, ni collectivement.
Parce que les groupes politiques aussi peuvent rouler des épaules, rentrer leur bedaine et se rêver plus forts qu’ils ne sont…
Augmenter notre influence, grossir, multiplier les groupes, aligner des rangs dans la rue ? Pourquoi pas… mais je repense toujours à ce dirigeant chilien d’extrême gauche qui racontait qu’une manifestation géante avait eu lieu, et qu’ils ne s’étaient jamais sentis aussi forts… la veille du coup d’État de Pinochet.
Le rapport de force n’est pas dans la rue, il se fait dans les esprits.
Une révolution, c’est cela.
Je n’ai pas besoin du drapeau noir, du A cerclé ou de n’importe quel signe extérieur d’anarchie. Je n’ai pas besoin d’uniforme, de posture, de paraître pour me sentir exister.
Je n’ai pas envie de m’écouter parler, de me complaire dans la redite, de ne pas réfléchir au sens des mots. Je n’ai pas envie de slogans inaudibles, de formules à l’emporte-pièce, d’incantations répétées à longueur de colonnes ou d’affiches et qui n’ont aucun écho. Je n’ai pas envie de compenser la faiblesse numérique par la surenchère, ou l’agressivité ou quoi que ce soit d’autre.
Nos idées, il faut que l’on nous les vole ! Faut que des gens se barrent avec ou qu’ils les réinventent sans nous. Faut se faire plagier, copier, pomper, racketter. Nos idées doivent devenir aux yeux du monde sensées, utiles, de bon sens, limpides, logiques, pratiques, évidentes, nécessaires, incontournables. Qu’elles deviennent leurs idées et qu’ils oublient, qu’ils ignorent même qu’elles aient été les nôtres. Et pour cela, ne pas les étiqueter ? Et pour cela se fondre, se dissoudre ? Peut-être. S’il s’agit d’éliminer tout ce qui, en nous, fait obstacle à leur propagation.
L’essentiel, l’essence même de nos idées, c’est quoi ?
Que nous gérions la société aux mieux de nos besoins et intérêts collectifs. Pour y arriver, pour oser, que nous acquérions une confiance en nous, suite à des expériences d’auto-organisation. Que nous soyons animés par un esprit collectif, une éthique, une empathie, qui nous fassent estimer primordiale la solidarité. Que le mercantilisme, l’exploitation de l’autre apparaissent de fait comme des fonctionnements dépassés, malsains, humainement méprisables, etc.
Jusque-là, combien peuvent s’y reconnaître ? Qu’est-ce qui empêche des millions d’individus de défendre un tel ensemble d’idées ?
Et si on en tirait une stratégie ?