L’affiche morte

mis en ligne le 31 mai 2012
C’est tombé il y a quelques jours à peine : Air France prévoit de supprimer entre 2 500 et 5 000 emplois d’ici trois ans, et ce afin d’économiser environ 2 milliards d’euros. Depuis quelques mois, la France n’en finit plus de vivre au rythme des plans sociaux, les patrons voyant dans la crise économique un précieux prétexte pour faire davantage de profit en réduisant les coûts du travail. L’élection présidentielle, dans laquelle nombre de travailleurs placent encore quelques menus espoirs, en aura sans doute retardé un bon paquet qui, les législatives passées, vont se dévoiler au grand jour. C’est dire si l’avenir est bien dégueu… Et la rentrée, que certains annoncent déjà « chaude » – au niveau social, s’entend –, sera sûrement dure pour pas mal d’entre nous. Car si le nouveau locataire de l’Élysée fait de la com’avec ses mesures symboliques de début de mandat (baisse des salaires ministériels, notamment), il reste un peu trop muet quant aux luttes sociales en cours dans les entreprises (Fralib, PSA, Arcelor-Mittal, etc.) qui, pour certaines d’entre elles, attendent ou exigent une réaction de sa part.
Il faut bien avouer qu’il est plus aisé de trimballer son derrière à travers le monde pour serrer les paluches de ses riches et puissants confrères que de se placer du côté des salariés pour tenir tête, depuis le parvis d’une usine en grève, aux caprices du patronat. Le nouveau président élu, malgré l’étiquette « socialiste » qu’il arbore, tournera-t-il le dos à ces travailleurs dont la maigre pitance est menacée ? Peut-être pas, et il est même fort probable qu’il désamorce un ou deux champs de bataille – sans doute les plus médiatiques –, histoire de faire illusion quelque temps, de calmer les syndicats – qui se refusent toujours à lui accorder un état de grâce – et, accessoirement (sic), de s’assurer une bonne majorité à l’Assemblée nationale du Parlement, tombeau de nos luttes. Espérons, si tel est le cas, que cet énième tour de passe-passe hypocrite ne vienne pas renforcer la profonde atonie dans laquelle est plongé, à l’heure qu’il est, le mouvement social.
En attendant, et a fortiori si Hollande ne bouge pas même un petit doigt en faveur des salariés, nous devrions nous efforcer de faire converger nos luttes, d’établir des liens étroits et solidaires entre les boîtes en grève pour impulser une nouvelle vague de protestation sociale. Je sais, ces histoires de « convergences » ne datent pas d’hier, et réitérer à nouveau pareil appel peut relever du lourdingue, du mécanisme bien huilé, voire du réflexe de Pavlov. Mais ce qui m’emmerde, justement, c’est que l’on en soit encore à ressortir cette même rengaine : non qu’elle soit désuète, mais tout cela en dit long sur notre capacité à faire valoir réellement cette idée et sa pratique, ailleurs que dans nos fougueux discours et impétueux écrits. Nous faisons-nous, dans nos propres boîtes, l’écho de ce désir de voir nos luttes converger en un grand mouvement social (émancipateur) ? Pas sûr. Et pourtant, le travail primordial à mener se trouve bien là, au niveau de cette si petite échelle sociétale d’où tout peut partir, pour peu qu’on s’en donne les moyens. Y introduire ainsi la combativité et la force de proposition de notre anarchisme vaut bien plus que les incessants appels à la grève générale expropriatrice. Car sans un monde du travail organisé, celle-ci n’est rien d’autre qu’une belle affiche collée sur un mur.