Lettre ouverte au militant qui ne doute pas (VI)

mis en ligne le 26 avril 2012
Je poursuis mes réflexions à partir des arguments d’un militant, celui qui a refusé de prendre et de lire un exemplaire du Monde libertaire que je lui tendais, car je ne voterai pas pour son candidat.
Depuis le moment où j’ai commencé cette lettre, le paysage électoral, avec force sondages, se modifie et Mélenchon a le vent en poupe. De quoi s’agit-il ? Sans doute, le discours anti système semble marquer des points. Un transfert de voix de l’extrême gauche, orpheline de candidats médiatiques, peut expliquer en partie la hausse du score annoncé du front de gauche. Plus largement, les effets de la crise de 2008, les conséquences visibles de l’austérité en Grèce, en Espagne, font craindre une politique analogue en France après les élections.
Beaucoup d’électeurs ne sont pas dupes. Ils savent que Sarkozy appliquera le pire s’il est réélu. Mais même avec Hollande, ils se doutent d’expérience que leur situation peut empirer, les socialistes n’ayant pas hésité à appliquer les directives du FMI ou de la Banque centrale européenne contre le niveau de vie de leurs populations.
Voter Mélenchon, avec un score historique, cela peut en effet signifier une radicalisation, un « NON » au système, du moins aux dictats de la finance. C’est ainsi qu’il sera interprété le soir du premier tour. Et après ? Les scores importants de Laguiller ou Besancenot aux élections précédentes ont-ils pesé ensuite dans l’évolution de notre société ? Ont-ils empêché des reculs sociaux généralisés, les luttes défensives perdues ? Non. Il ne s’agit pas de leur reprocher, eux-mêmes sont clairs là-dessus : seules les luttes renversent le rapport de force. Que se passera-t-il après le second tour ? Si Hollande est élu, avec l’apport des « voix Front de gauche », comment se jouera la partie ? Verra-t-on militants politiques et syndicalistes freiner toute revendication, sous prétexte qu’« il faut laisser du temps au temps », et « laisser œuvrer le gouvernement » ? Ou au contraire, impulseront-ils un vaste mouvement de contestation, de luttes afin de reprendre l’offensive, de regagner acquis perdus et d’imposer une politique autre dans tous les secteurs de l ‘économie et du travail ? Là aussi, ne nous leurrons pas, l’important est de savoir si dans la population cette offensive apparaît nécessaire et possible. Et tous, nous avons un rôle à jouer dans un scénario qui peut ressembler à celui de 1981 (rien, puis reculs), de 1936 (la grève générale pousse le patronat à céder et le gouvernement à l’action), ou autre chose encore…
Une analyse répandue : la victoire de Sarkozy serait un coup fatidique pour les mouvements sociaux. Difficile de ne pas en tenir compte pour les années à venir, dans les années économiquement horribles qui s’annoncent. Ce qui est certain, c’est qu’une droite reconduite piétinerait allégrement ce qui reste d’acquis sociaux et que par simple « hygiène », l’alternance droite-gauche relativise leur pouvoir. La remise en cause quinquennale est un pis-aller, nous savons que l’appareil d’État possède une continuité qui n’a cure des changements de majorité. Mais si les illusions enfantent l’espoir, si l’élection d’Hollande devait susciter enfin des luttes victorieuses, je ne peux en tant que militant y rester indifférent.
Mon « camarade », celui à qui j’adresse cette lettre ouverte, m’a servi lors de sa courte mais péremptoire interpellation, une répartie qui ne peut laisser insensible : « Ne pas aller voter, c’est voter Sarkozy ! » Glups ! Vous comprendrez aisément que le coup, sans être fatal, m’ait ébranlé, moi qui n’ait jamais voté au second tour. Bien sûr, j’eus pu rappeler à son souvenir les militants communistes qui auraient voté Giscard en 1981, pour ne pas avoir Mitterrand. Ragots ou réalité ? Je ne suis pas allé vérifier dans les isoloirs, mais le geste n’était pas sans intelligence tactique au regard de ce que les socialistes firent subir comme reculs sociaux, idéologiques (privatisations !) et comment ils enfoncèrent électoralement par la suite le parti communiste. Mais je ne lui ai pas rappelé.
Le suspens est insoutenable. Votre chroniqueur, ici écrivant, votera-t-il Hollande au second tour ? Vous le saurez en lisant les prochains épisodes de sa « lettre ouverte au militant qui ne doute pas ».