Rivages fantastiques...

mis en ligne le 12 avril 2012
Il est des lectures surprises de romans inclassables, et Rivage 1 fait partie de cette famille rare à déguster sans modération. Placé sous la terminologie de fantastique, car il fallait bien le classer quelque part, Rivage a été publié par les éditions Malpertuis, jeune et « petite » maison d’édition qui s’est déjà fait remarquer par la qualité de ses publications.
Narré dans un style d’un autre temps – passé ou futur antérieur –, tout en finesse et subtilité, deux qualités qui ne manquent pas à ce roman hors norme, Rivage, lui, se déroule résolument dans un futur teinté de crépuscule. Le héros du roman est un immense admirateur de Gaëlle Darian, peintre aujourd’hui disparue dont il collectionne tableaux et reproductions, persuadé que l’œuvre possède une clé. Pour enquête, il se rend sur une ville côtière bordée de falaises crayeuses qui rappelle un Étretat du futur, mais à peine effleuré par un cataclysme sur lequel l’auteure ne s’étend pas.
À partir de ce moment, le lecteur va entrer dans un autre monde très proche du nôtre, où des événements qui pourraient sembler anodins sont les reflets d’événements fantastiques : des objets appartenant à des marins disparus en mer depuis parfois des centaines d’années réapparaissent dans les domiciles des familles… Le héros, dont l’anonymat permet une imprégnation grisante, va se lier d’amitié avec des personnages plus étonnants et profonds les uns que les autres ; de ceux que nous souhaiterions rencontrer, de ceux que nous croisons peut-être sans le savoir. Parmi eux, certains sont des lieux, bâtiments, meubles parfois. Je laisse au lecteur le soin de savourer l’insolite hôtel du village doté d’une bibliothèque et d’un extraordinaire fauteuil dont tous les bibliophiles et chasseurs de trésors souhaiteraient un jour faire la découverte. Ou ce manoir perché sur une falaise pleine de secrets, ou bien ces surprenantes gargouilles d’une chapelle transformée en musée. Les pièces imbriquées des différents tableaux de Gaëlle Darian constituent un puzzle qui prend racine dans le fantastique et qui nous entraîne, au gré d’une promenade merveilleuse autant qu’inquiétante, dans une ambiance si inhabituelle qu’il faudra des jours pour que notre regard du monde revienne à la normale. Mais au-delà de ce canevas, sous-entendue tout le long du roman, est perceptible une autre narration, comme un appel désespéré à la liberté, à la solidarité entre les êtres, au rejet de toute forme de sujétion, l’ensemble baignant dans un entrelacs où se mêlent histoire, passée et future, rêves intimement liés à la réalité, et surtout quête de ce langage perdu que la perversion planifiée des mots a délibérément rendu obscur… Je n’hésite pas à le dire, il y a un sentiment flottant de définition de ce roman. Quelque chose de Pennac, de Vargas et de Neil Gaiman. Un cocktail où Sylvie Dupin maîtrise avec brio une recette alternative.

Jean-Hugues Villacampa





1. Sylvie Dupin, Rivage, éditions Malpertuis, 2011, 15 euros. Disponible à la Librairie du Monde libertaire, 145, rue Amelot, 75011 Paris.