En marge toujours

mis en ligne le 12 avril 2012
Deux livres viennent de paraître dont je dois absolument parler cette semaine, que l’on sache qu’ils existent, car, sauf dans le ML, je doute fort qu’on en dise malheureusement plus de dix mots. Il faudrait en effet, pour qu’on en parle comme on le devrait chaque fois que se produit un événement artistique exceptionnel, que l’on songe un peu dans les milieux de la critique à s’égarer du côté où ça ne va pas forcément bien, où le salaire du travail ne permet même plus de survivre, où l’artiste devient le chien du pauvre et le pauvre, le chien du riche absolument. Le premier des deux livres dont je veux parler tout de suite est La Légende des siècles de Hugo mise en images par Melon, un peintre de génie dont Jean-Marc Raynaud vient de publier le second album et qui expose en ce moment les originaux à La Hune Brenner, 3 rue Ravignan, métro Abbesses à Montmartre. L’album est magnifique et l’exposition de même. Melon est un grand peintre visionnaire, l’un de ceux qui possèdent la capacité de réunir en un même sujet tradition et modernité. Il semble d’ailleurs qu’il n’y ait pas de sujet que Melon ne soit capable d’aborder tant la vision, centrale dans sa façon de penser, restructure sans aucune peine le sens et le matériau du temps poétique. Melon a une faiblesse qui constitue toute la force de sa vision : il ne fait aucune distinction entre le temps de l’imaginaire et celui de sa vie. Melon est un réalisateur de visions. L’album ne coûte que 20 euros, ce qui me semble inexplicable tant c’est peu cher, et c’est promesse de délices pour les yeux de tous les âges sans distinction.
L’autre livre est un ensemble de poèmes, les derniers d’un nommé Balbino, un grand costaud avec une carrure de déménageur-tatoué-boucle d’oreille et chope à la main. On le verrait plutôt cogner. J’ai découvert un grand poète en l’écoutant lire. Les mots tombaient comme des images sombres et luisantes et bientôt, la banlieue, la vraie, fut là. Je ne suis pas Sartre, mais je suppose que le vieux philosophe dut ressentir quelque chose de semblable en rencontrant Genet. Cette lumière dans l’image… et même dans les chocs les plus sourds, les coups les plus durs de la vie cruelle et crue, un sens inné du rythme et du juste mot. Balbino est ami, très ami même avec un autre maître de la musique et des mots, Bernard Lavilliers. Pas étonnant que, malgré la différence d’âge, ces deux-là se soient entendus. Balbino, c’est quelque chose comme le concentré poétique d’un Villon et d’un Bukowski, le rap urbain en plus. Un très méchant gentil garçon qui écrit comme un grand poète.

Claude Margat