Vous n'existez pas

mis en ligne le 15 mars 2012
Si je dis cela à quelqu’un, je sens qu’il va m’en mettre une : « Tu vas voir si j’existe pas ! » D’accord, t’emballe pas, j’ai dit : « Vous » n’existez pas. Nous n’existons pas. Pas individuellement. Sûr que nous existons, avec nos vies, nos familles, nos boulots ou pas de boulot, nos activités diverses et variées, nos goûts… En nous pensant tous uniques, différents, originaux, dans nos choix de vie, nos goûts… alors que nous fonctionnons à l’identique par millions. Suffit de jeter un coup d’œil sur les contenus des caddies. Justement ! le problème est là, nous n’existons collectivement qu’en tant que consommateurs. Nous consommons, collectivement, de quoi manger, de quoi nous habiller, nous chauffer, nous transporter. Mais, surtout, nous consommons des images, des discours, des infos, des médias. Qui ne cessent de nous dire que nous n’existons pas. Ah bien sûr, ils ne le disent pas comme cela, c’est plus subtil : ils nous ignorent.
Lors de la première guerre en Irak, en 1991, les militaires américains avaient décidé de ne montrer aucune image des combats, afin de ne pas revivre le traumatisme de la guerre du Vietnam. Dans les années soixante, la jeunesse s’était opposée à la guerre en voyant les cercueils des grands frères à la télé. D’où la logique (de guerre) : pas d’image donc pas de souffrance visible, pas de blessés hurlant après leur mère, pas de cercueils empilés dans les avions. Pas de civils irakiens écrasés sous les bombes, pas de dizaines de milliers d’enfants pas soignés, pas de centaines de milliers de victimes… Cela a facilité le travail quand ils sont retournés en Irak finir leur guerre « propre »…
Dans la guerre des riches contre les pauvres, c’est la même chose. Depuis un an, combien de fois avez-vous vu à la télé un superflic attraper un truand, ou le contraire ? Et combien de fois avez-vous vu un groupe de salariés prendre son patron dans un coin et obtenir de lui une augmentation de salaire ? Ne pas nous mettre à l’image. Pour nous fragiliser, nous rendre impuissants, pour que nous n’ayons pas conscience de notre force. Ouvriers, employés, travailleurs, salariés, nous n’existons pas. Nous ne sommes même pas représentés à l’Assemblée nationale. Des partis disent nous représenter, mais ces « spécialistes de la politique » ont des parcours bien éloignés des nôtres… Pas d’ouvrier, beaucoup de professions libérales. Comme si tous avaient à cœur, à droite comme à gauche, de nous prouver que les millions que nous sommes ne comptent pas, sauf pour leur servir de marchepied vers le pouvoir. Laissons-les s’occuper de nos affaires, ne les dérangeons pas, ils savent ce qui est bon pour nous.
Parfois, ça rue dans les brancards, souvent quand il est trop tard. Aux infos, des piquets de grève, avec des pneus qui brûlent, des drapeaux colorés de syndicats : « Non ! Non ! Non aux délocalisations ! » Avec l’énergie du désespoir, se battre pour sauver la boîte, des emplois, dans l’attente d’un repreneur. Une farce sinistre, dans laquelle les plus combatifs en sont réduits à demander un patron. Ben oui, en définitive nous en sommes là : nous implorons qu’un patron veuille bien accepter de nous exploiter encore quelques années. C’est logique : tout est fait pour nous convaincre qu’obtenir un travail est une chance, un privilège, c’est une faveur qui nous est accordée. De même, « ce sont les patrons qui créent les emplois », ou encore « s’attaquer aux riches, c’est appauvrir les pauvres ». De la propagande. Diffusée dans toutes les écoles, dans presque tous les médias. La preuve encore avec le taux d’imposition des plus riches, ce 75 % (au-dessus de 1 million d’euros) qui les effraye et leur ferait fuir la France. Fuir ? Avec leurs comptes bloqués, leurs propriétés confisquées ? Avec interdiction de retour sur le territoire ? Ben oui, peur pour peur, allons-y franchement ! Pourquoi les laisser payer leurs impôts ailleurs et profiter de leurs résidences secondaires ici ? Pourquoi auraient-ils le droit de partir avec ces richesses ? Parce qu’elles sont à eux ? Non. Les grosses fortunes se créent sur les salaires minables, sur les richesses produites par les travailleurs, des millions de travailleurs quotidiennement volés.
Mais nous ne sommes rien, nous ne comptons pas, nous n’existons pas. Tout fonctionne grâce à notre travail mais surtout ne le dites pas, ne le montrez pas. Nous pourrions avoir l’idée de nous débarrasser des parasites. Nous pourrions décider de quoi et comment produire… sans enrichir une minorité. Nous ne sommes rien, soyons tout !



COMMENTAIRES ARCHIVÉS


rastakwer

le 25 mars 2012
Ah enfin une parole sensée: celle du constat d'une minorité qui ne sert à rien, celle des anarchistes. Oui vous n'êtes rien, et au lieu de couiner dans des manifs inutiles en brandissant pavillon noir, "on" remarque que vous n'êtes pas plus constructifs que l'ensemble du troupeau! Peut-être qu'à force de rêver de révolution, finit-elle par s'inscrire dans vos têtes mais pas du tout dans la réalité! Évidemment la "révolution" est aussi un marché juteux qui fait vendre du papier.

André

le 25 mars 2012
Au sujet du commentaire de "Rastakwer" : quel niveau…
Évidemment, si vous vous intéressiez davantage à l'histoire du mouvement libertaire et, plus largement, à celle du mouvement ouvrier, vous verriez que les "manifs inutiles" et autres occupations ont laissé quelques traces. Quant à votre remarque finale, c'est à pleurer de rire : eh oui, c'est connu, les anarchistes, grâce au "juteux marché de la révolution", se sont tous fait construire des piscines en forme de A cerclé.