L’exemplaire lutte antinucléaire d’Iwai-shima

mis en ligne le 8 mars 2012
Un an après la catastrophe de Fukushima, un film documentaire japonais vient nous retracer les enjeux de la lutte antinucléaire.
Iwai-shima est une petite île de la mer intérieure de Seto au Japon. Ses 500 habitants, environ, y vivent de la pêche et de l’agriculture. Sur le littoral d’en face, à cinq kilomètres de là, se trouve la baie de Ta-no-ura, à la pointe de la péninsule de Murotsu (commune de Kaminoseki sur Honshû). La compagnie électrique privée Chûgoku Denryoku, alias Energia, envisage, depuis 1982, d’y construire une centrale nucléaire sur un vaste terre-plein qui détruirait l’une des zones de pêche privilégiée des insulaires, qui en sont les usufruitiers de droit. C’est pour cela que la coopérative de pêche d’Iwai-shima se dresse résolument contre ce projet, ainsi que la moitié des habitants.
Mais ce n’est pas la seule raison. Car les insulaires ont réalisé que la centrale nucléaire allait à l’encontre de leur mode de vie et de leurs aspirations. Logiques dans leur démarche, constatant qu’ils veulent aussi de l’électricité mais pas à tout prix, ils se sont engagés dans une démarche plus globale d’autonomie énergétique et d’auto-suffisance alimentaire, quitte à relancer l’agriculture de l’île. Un des anciens, qui est parti travailler dans la centrale nucléaire de Fukushima Dai-ichi et qui en est revenu irradié, leur a également raconté le sale boulot qu’il faisait là-bas.
C’est ce double combat d’une trentaine d’années – lutte contre la centrale nucléaire, lutte pour l’autonomie – que raconte le documentaire de Kamanaka Hitomi, Comme l’abeille qui fait tourner le monde (2010), projeté plus de 450 fois partout au Japon dans un circuit parallèle, et vu par plus de 110 000 personnes au total.
Le film fait également un détour par la Suède, notamment par une commune qui a réalisé son indépendance énergétique. Son contenu extrêmement riche montre le difficile combat de David contre Goliath dans toutes ses dimensions : la mobilisation et ses difficultés, la séquence ahurissante d’un conseil municipal de Kaminoseki qui vote à une courte majorité en faveur de la centrale, la colère « à la japonaise » pleine de dignité, la tentation d’une partie des insulaires d’accepter les promesses (des emplois, des subventions…), le refus des autres, le blocage des grues qui veulent installer des bouées pour délimiter le chantier, le chaînage des bateaux de pêche qui rappelle la fête millénaire de l’île (où la tradition rejoint la modernité), les soutiens venus de tout le Japon…
Là où le film est très fort, c’est dans sa contextualisation globale et son approche socio-démographique. En effet, la centrale est le miroir d’un Japon provincial exsangue par l’exode rural. Elle peut s’installer car les jeunes sont partis, l’agriculture est en crise (la culture locale des mandarines un temps encouragée par les autorités comme panacée a été liquidée par l’ouverture du marché japonais aux agrumes américains), la pêche vivote sur une mer quelque peu malade, l’école a fermé. Les deux tiers des insulaires ont plus de soixante-cinq ans. Ce sont eux et elles, grands-pères et surtout grand-mères (plus nombreuses), encore vaillants mais avec des forces déclinantes, qui doivent mener le combat. La démographie n’est pas favorable. Le salut vient par quelques jeunes qui ont décidé de revenir vivre sur l’île, mais ce n’est pas facile quand il n’y a pas d’emploi. Du coup, ils se remettent tant bien que mal à l’agriculture qui leur assure une certaine autosuffisance, tout en tentant de commercialiser leurs produits (néfliers, algues, daurades, etc.).
Bien sûr, tout n’est pas parfait, et l’exemple de la Suède prête à discussion car on voit bien un capitalisme vert s’y mettre en place. Mais Iwai-shima nous montre, un an après Fukushima, que l’issue ne passe pas seulement par une simple dénonciation, ni même un combat frontal – non violent (comme à Iwai-shima) ou pas –, mais aussi par la nécessité de se doter par soi-même, ici et maintenant, d’une alternative, ce qui implique de retrousser les manches et d’être inventifs. L’autonomie en soi n’est cependant rien si elle n’est pas pensée dans le lien fédéral, tant politique qu’économique. Cela signifie que la commercialisation des produits et la fabrication des alternatives énergétiques doivent trouver une autre voie que celle de la marchandise classique sous peine d’une autre dépendance. Après Fukushima, le projet de la centrale de Kaminoseki est gelé, mais la route est encore longue.