Philosophie du blues

mis en ligne le 1 mars 2012
À première vue, au premier coup d’œil plutôt, on se demande s’il s’agit d’un ouvrage qui traite du « moi stirnerien ». Mais non, il s’agit bien d’un ouvrage sur l’histoire du blues sous tous ses divers aspects. La guitare de la couverture reprenant, en fait, ce que Gérard Herzhaft disait sur le piano dans sa Grande encyclopédie du blues : « Si la guitare est l’instrument clé du blues, le piano a toujours apporté au genre sophistication, urbanité et professionnalisme » ou, plus loin : « Le guitariste est un paysan itinérant, illettré et guenilleux 1. » Donc, le blues, pour tout le monde, c’est d’abord une chanteuse, un chanteur avec une guitare !
Allons-y et annonçons-le à haute et intelligible voix : Philippe Paraire a commis là un excellent bouquin. Certes, comme il le dit lui-même, d’autres ouvrages en français sont parus sur le blues. Les meilleurs, à mon humble avis, sont ceux de Gérard Herzhaft, Jean-Paul Level et Robert Springer (respectivement La grande encyclopédie du blues, Talking that talk, Le langage du blues et du jazz, Fonctions sociales du blues). Les autres (que je ne nommerais pas, bien sûr) cherchent, entre autres, à égaler les productions outre-atlantique et n’y parviennent pas toujours.
Là, avec Philosophie du blues, on aborde de front un sujet qui n’a pas été trop abordé et qui mérite d’être traité : « Le blues n’aurait jamais dû continuer. » À ma connaissance, mais je puis me tromper, aucun texte en français ou en anglais (pour le reste, je ne sais…) n’a abordé ce sujet de manière conséquente.
Pour la France qui a vu des générations (?) danser le jerk sur les rythmes de Shake it baby de John Lee Hooker 2, il revenait donc à Philippe Paraire de combler cette lacune. De la page 29 à la page 36, tout est expliqué. Certes, les amatrices et amateurs de blues de notre bel Hexagone n’y sont pas pour beaucoup. Celles et ceux de Grande-Bretagne beaucoup plus, entre autres quand, dans les années soixante et plus, une grande majorité des groupes anglais faisaient des reprises des grands standards du blues.
Sinon, en écho au sous-titre du livre (Une éthique de l’errance solitaire), les chapitres se suivent sur les multiples facettes de l’errance : géographique, sentimentale, intérieure, addictive, sociale. Pour en finir en fanfare avec : « La liberté en héritage ! »
N’oublions pas dix pages de notes fournies et une discographie généalogique de cent blues originels.
Pour vous mettre l’eau à la bouche, quelques autres sous-titres : « Le paradoxe d’un folklore local devenu une attitude universelle. », « Un personnage fondateur : le musicien vagabond. », « Et pourtant le blues aurait dû disparaître. » Comme Philippe Paraire l’écrit : « Avant de devenir une musique de rang mondial dans les années soixante, le blues a été un corpus éthique de références s’exprimant à travers une littérature orale chantée comme le furent l’Illiade et l’Odyssée, qui s’est transportée d’une ferme, d’une fête, d’un quartier, d’une ville, d’un État à l’autre. 3 » L’auteur 4 manie avec bonheur réflexions philosophiques et musicales pour nous faire partager sa passion pour le blues. Qu’il en soit remercié en attendant d’en discuter avec lui un samedi après-midi à la Librairie du Monde libertaire !

Thierry
Blues en liberté






1. Gérard Herzhaft consacre deux colonnes au piano et près de trois pages à la guitare. Il n’y a pas photo !
2. Ce titre s’est plus que bien vendu en 45 tours. Est-il besoin de préciser que John Lee Hooker n’a jamais perçu un centime ?
3. Certains faisaient des copies carbone, voire des copiés-collés, mais il y avait de veritables talents (pas de noms !). De toute façon, ils ont contribué à la renaissance du blues avant que l’Amérique s’y mette. Mais Philippe Paraire le dit mieux que moi !
4. Philippe Paraire, docteur en philosophie, enseignant et animateur à Radio libertaire. Il a écrit de nombreux livres sur la culture nord-américaine. Aux éditions de l’Épervier, il a publié La révolution libertaire (avec Michael Paraire) et La Fontaine, Brassens : fables et chansons satiriques et rebelles.