TMB 51 : usagers des transports en grève (Barcelone, la belle rebelle)

mis en ligne le 26 janvier 2012
À Barcelone c’est reparti comme en 1951. L’histoire ne se répète peut-être pas, mais elle bégaie fortement. Cette année-là, une hausse de 40 % du prix des tramways avait déclenché la première grande grève sous la dictature de Franco. Affiches et tracts étaient réapparus, invitant la population barcelonaise à boycotter les transports en commun de cette façon : « Sois un bon citoyen, montre ton courage, rends-toi à pied à ton travail. » Appel immédiatement suivi : les transports publics perdirent immédiatement 97 % de leurs usagers, la grève/boycott dura deux semaines et donna lieu à de durs affrontements avec la Garde civile, qui firent de nombreux morts. Ce fut également l’occasion de voir réapparaître au grand jour les organisations antifascistes (dont la CNT) ; devant l’ampleur de ce mouvement, les autorités annulèrent purement et simplement l’augmentation de prix. Dans la foulée Josep María Albert i Despujol (alors maire de Barcelone) et Eduardo Baeza y Alegría (gouverneur civil) furent destitués ; c’est qu’entre-temps ce mouvement avait débouché sur d’autres grèves dans différents secteurs (notamment dans la métallurgie) et dans d’autres régions d’Espagne.
Aujourd’hui rebelote. La TMB-ATM 1 applique une augmentation de 38 % du prix du ticket de métro (ce qui en fera le plus cher d’Europe). Cela dans un contexte de crise (toujours la crise !) et s’ajoutant aux nombreuse coupes budgétaires réalisées ou annoncées en Espagne. Aussitôt un mouvement de protestation et de refus de cette augmentation est né par le biais des réseaux sociaux, et s’est donné le nom de TMB-51 en référence explicite à la grève de 1951. Comme quoi on peut être indigné, avoir de la mémoire ou connaître l’histoire sociale de son pays.
TMB-51 précise, comme le mouvement 15 M 2 dont il est en grande partie issu, qu’il s’agit d’une initiative de citoyens agissant de manière individuelle, indépendamment des partis ou syndicats, même si certains d’entre eux peuvent être membres d’un parti, d’un syndicat ou d’une association. Mais par-dessus tout TMB-51 se revendique ouvertement de la grève des usagers des transports publics de 1951.
Une première journée d’action a eu lieu le 10 janvier, une autre était prévue le 17 janvier mieux coordonnée : pour le moment TMB-51 est structurée en une trentaine d’assemblées de quartiers et d’indignés. La proposition d’action consiste donc à boycotter les transports en commun ; pour cela le collectif a eu le souci du détail en fournissant quelques indications et conseils pratiques.
Petits déplacements : les effectuer à pied (avec rappel des bienfaits de la marche pour la santé)
Déplacements moyens : en rollers, skate, patinette, vélo (et de préférence en groupe)
Grands déplacements : en voiture (covoiturage évidemment), ou en moto ; conseil pour tous de se munir d’un casque au cas ou une moto justement se propose de vous transporter.
Parallèlement à ce boycott, un appel à la solidarité des travailleurs du métro a été lancé pour qu’ils bloquent les tourniquets d’accès en position ouverte (enfin les transports libres et gratuits !). Dans la foulée une association s’est créée : Memetro propose – moyennant une cotisation mensuelle de 5 euros – de prendre en charge les éventuelles amendes infligées aux usagers sans titre de transport. Le mot d’ordre de ne pas utiliser les transports publics (ou de ne pas les payer) a tout de suite été entendu : 8 000 inscrits ou « followers » sur Facebook et Twitter, 30 000 visites sur le site de TMB-51. Pour mieux comprendre ce phénomène, il suffit de comparer d’une part le prix du ticket de métro : en France : 1,70 euros ; en Espagne : 2 euros. Et d’autre part le montant du salaire mensuel minimum : en France : 1 365 euros ; en Espagne : 641 euros.
Par ailleurs, tout ceci intervient dans un climat « détestable ». On apprend en effet que la société métropolitaine (TMB) compte près de 300 postes « politiques » dont la rémunération est fixée dans la plus grande confidentialité. Ces « hautes » fonctions représentent 7 % du personnel et leurs émoluments 14 % de la masse salariale. Pour en rajouter une louche, on apprend aussi que 90 responsables de l’AMB 3 se sont répartis 800 779 euros d’indemnités rémunérant leur présence aux diverses réunions. C’est d’ailleurs au cours d’une de ces réunions qu’a été décidée l’augmentation du prix du billet de 1,45 à 2 euros, ainsi que le licenciement de 36 salariés précaires dont les CDD n’ont pas été transformés en CDI, comme c’était initialement prévu après leurs deux ans de travail temporaire. Mais bien entendu, c’est pour « faire face à la crise » que ces têtes pensantes ont pris de telles décisions.
Juste un détail : l’un de ces 90 conseillers/responsables est Xavier Trias maire de Barcelone, et c’est lui qui décroche la timbale puisque, pour avoir participé à 29 réunions dans l’année, il a touché 36 800 euros (1 269 euros la réunion tout de même !) qui s’ajoutent à son salaire de maire (110 000 euros). Je vous rassure quant au sort des 89 autres maires : leur participation à ces réunions leur permet pour la plupart d’entre eux de doubler le montant de leurs revenus. Et ceci évidemment, quelle que soit leur couleur politique : CIU, PSC, PP, ICV4, tout ce petit monde s’entend pour joindre l’utile (le bien du peuple ?) à l’agréable (leur bien personnel !)
Nous sommes loin évidemment d’une grève générale, mais ces révélations ahurissantes au milieu des hausses de tarifs décidées et imposées par les possédants, insupportables par leur brutalité et leur cynisme, pourraient déboucher sur un mouvement de grande ampleur comme en 1951. Comme disait l’autre : « Quand c’est insupportable, on ne supporte plus ! »





1. TMB : Transports métropolitains de Barcelone (équivalent de la RATP pour Paris) ATM : Autorité de transport métropolitain (équivalent pour l’Ile-de-France de la Stif). C’est elle qui fixe les tarifs.
2. 15M : abréviation par laquelle on désigne le mouvement des indignés espagnols né à Madrid le 15 mai 2011.
3. AMB : zone d’extension des transports en commun à la grande banlieue barcelonaise.



COMMENTAIRES ARCHIVÉS


LaRucheBcn

le 4 février 2012
Il est impossible de comparer les deux journées de grèves des usagés de 2012 avec les deux semaines de grève de 1951. Pas seulement à cause de la durée, mais surtout parce qu'il y a 60 ans la ville était bien plus petite, et les déplacements à pied ou en vélo étaient bien plus cours, et ensuite parce que le tram était bien souvent l'unique moyen de transport possible pour les barcelonais.

Les grèves des transports de 2012 ont finalement fait peu de bruit et ont été peu suivies. Les individus non politisés ne s'en sont même pas rendu compte et acceptent passivement la hausse des prix. Je pense que malheureusement ceux qui s'intéresse aux initiatives comme memetro, comme le don de carte usagée pour faire gagner un voyage à quelqu'un d'autre, les petits bricolages qui permettent d'avoir des voyages illimités... sont finalement peu nombreux et que ça n'aura pas servi à sensibiliser beaucoup de nouvelles personnes qui n'étaient pas déjà impliquées dans la "mouvance" 15M.

En espagne il y a plein de gens pour s'offusquer et s'indigner, mais la grande majorité continue d'être des consommateurs de politique qui attendent que quelqu'un fasse quelque chose pour eux. Dans les assemblées de quartier et les manifs il y a toujours un petit rigolo pour dire "nous sommes les 99%"... et bien c'est faux! Ils ne sont que les 1% de ces 99%