Guerres et religion

mis en ligne le 2 janvier 1986
Qu’il y ait encore en 1985 des pacifistes sincères pour croire ce que raconte la presse « aux ordres », à savoir que le pape est le chevalier de la paix, l’apôtre des droits de l’homme, c’est à se les mordre, en tout cas cela mérite quelques explications.
De braves gens, fondamentalement opposés à la guerre, non seulement admettent encore le règne de l’Église catholique au sein de l’État laïc, mais ils en font l’éloge en répondant à nos critiques : « Ce n’est plus vrai, l’Église a bien changé, vous les anticléricaux, vous vous croyez encore en 1905... »
Il est certain qu’il y en a eu des changements depuis 1905...
Déjà en 1891, le pape Léon XIII publiait son encyclique Rerum Novarum sur la « condition des ouvriers ».
En 1931, autre encyclique : « Quadragesimo anno ». En gros, l’Église, qui toujours sentit au bon moment le vent tourner (c’est pourquoi elle est encore là même si elle adopte, sur certains points, une position rigoureusement opposée à celle qu’elle défendait à d’autres époques) essaie d’infiltrer le mouvement ouvrier, de s’en emparer pour le livrer soumis au capitalisme et au militarisme.
Passons sur l’attitude pour le moins troublante des papes, des syndicats chrétiens et de la religion catholique dans son ensemble pendant les deux dernières « der des der » (plus vichistes qu’eux, tu meurs !).
Avec le Service du travail obligatoire, arrivent les curés ouvriers, réinventeurs de la mortification, missionnaires du milieu ouvrier.
Pie XII, le pape réac clabote, et la « providence » élisent un pape new look, le brave, le bon, le saint Jean XXIII et son concile. Celui-là a sauvé l’Église d’un fiasco qui aurait pu l’affaiblir.
Il a, lui aussi, pondu son encyclique « Mater et magistra » qui vaut son pesant de jésuitisme et qui prône bien entendu la collaboration de classes, le corporatisme, le respect de la propriété privée...
Pressentant la contestation générale des années 70, l’Église catholique change de peau. Seulement de peau, la charogne et le squelette restent les mêmes, rassurez-vous !
Les nombreux croyants progressistes qui commençaient à s’éloigner un peu de l’Église qu’ils jugeaient trop rétrograde, y retournent tête baissée.
Le père Duval et la sœur Sourire dans la chanson ; Gilbert, curé chez les motards dans la rue et au troquet, c’est bon ça coco, ça fait vendre !
Mais le propre des modes, c’est d’être passagères...
Notre société occidentale se remet très bien du débordement de 1968.
Plus cyniques que jamais, les exploiteurs rempilent.
Et qu’on a besoin de main d’œuvre, et qu’on va en importer du Portugal et d’Afrique.
Et on produit, et on produit...
Il est à noter que le pape Paul VI est nettement moins progressiste que son prédécesseur, plus édredon aussi.
Et voilà la crise que les partis de droite nient au début, puis mettent sur le dos des Arabes (crise du pétrole, tu parles !). Je ne vais pas expliquer aux lecteurs du Monde libertaire le mécanisme des crises capitalistes, d’autres l’ont fait mieux que je ne saurais le faire .
Ah ! une fausse note : les catholiques ont un nouveau chef, apparemment sincère, qui semble envisager de profonds changements dans l’Église. De quoi, de quoi ? En un mois, son compte est réglé, et le voilà remplacé par celui qu’il fallait, l’inénarrable J.-P. 2.
Eût-il voulu réformer l’Église, lui redonner une image d’ « Église des pauvres » qu’il n’aurait pas pu.
C’est comme si on voulait donner à une banque l’apparence d’un bureau de secours !
Enfin, nous l’avons échappé belle, car ce super-Jean XXIII aurait donné à son assemblée de brigands un look super « chébran », qui aurait sans doute rameuté pas mal de brebis égarées. On lira à ce sujet le livre de David Yallope : « Au nom de Dieu » (réédité récemment en collection de poche).
Le nouveau pape de choc ne ressemble en rien à ses prédécesseurs lopettes. Mâchoire carrée et couilles au cul. Ça va ronfler, nom de Dieu !
Parallèlement, en France, l’intransigeant Lustiger monte très rapidement. D’aumônier des étudiants, le voilà évêque à la place du trop remuant Riobé, puis cardinal de Paris, papabille ! Tu parles d’une promotion, toi vieux !
Et en parfaite symbiose avec son chef et compatriote Wojtyla, le voilà qui dénigre, qui condamne les athées et l’école laïque, qui contrôle la « guerre scolaire » au nom de la Liberté, qui se mêle – au nom de la liberté ? – de faire censurer des films, qui s’entend comme cochon avec Mitterrand.
En France, le pouvoir néo-clérical a fait lui aussi un sacré bond en arrière. Un des plus spectaculaires, c’est sa position sur la force de frappe.
Curieusement, les évêques français l’approuvent... Rien ne va plus penseront certains !
Si, tout va au contraire très bien. Ne vous inquiétez pas, on revient à la case départ. A une case départ, devrais-je écrire. Arrêtons-nous après 1936, ou avant ? L’ordre revient, en occident du moins.
L’école sera de plus en plus privée (ohé les enseignants publics, vous n’êtes pas innocents !), de même que les services dits publics.
La religion reprend du poil de la bête. Elle est à sa place pour cautionner l’exploitation capitaliste et le pillage du tiers-monde. Quoi mère Thérèsa ? Oui justement elle y contribue largement de même que l’abbé Pierre (ne pas confondre avec Pisani).
Les militantes et militants du M.L.A.C., du M.L.F., etc..., sont démobilisés. La peine de mort supprimée ?
Gaffe aux retours en arrière !
Nos deux seuls acquis sérieux depuis 1936 : le contrôle des naissances et la suppression de la peine de mort sont en danger.
Et comme par hasard, le pape est contre les deux. Étonnant non ?
Depuis l’empereur Constantin, l’Église a toujours été du côté du manche. Elle s’en est un peu écartée entre 1950 et 1980. En apparence seulement. Mais son pouvoir, elle sait qu’elle ne peut le garder que si elle soutient le temporel.
Voilà pourquoi je n’aurais même pas dû vous faire ce rapide survol.
Il y a presque toujours des religions à l’origine des guerres.
En tout cas, jamais les religieux ne prennent position contre une guerre. « Si vis pacem para bellum » est un leurre. Ni les armées ni les religions n’ont jamais empêché les guerres, bien au contraire... c’est une évidence pour les libertaires.
Camarades pacifistes croyants, vous êtes pacifistes en tant qu’individus, mais pas en tant que croyants. Alors lâchez-nous un peu avec votre Église de paix, Pax Christi, etc... L’Église catholique, comme les autres religions, est un facteur de guerre et de domination d’une classe par une autre.
Quant à la non-violence, encore plus gangrenée par la religion, il est grand temps de l’envoyer aux pelotes, de dire : « Gandhi c’était Gandhi, King c’était King, Del Vasto idem ». Les méthodes de combat qu’ils ont mises au point et expérimentées sont valables. Utilisons les quand elles sont opportunes, le plus souvent possible, mais la foi n’a rien à voir avec. La non-violence est un moyen de combat, le plus en accord avec nos principes de respect des individus.
L’assujettir à la foi n’a pas de sens. Les militaires, eux aussi, se réfèrent à la Bible et à Dieu. Ce qui est formidable, c’est que Dieu est toujours à leurs côtés. Mais pour eux, c’est vrai, puisque nous l’avons vu et l’histoire le prouve, que Dieu est du côté du manche, des puissants, des oppresseurs.
En abandonnant les religions, les non-violents et les pacifistes perdront certainement des frères, mais ce sont des faux-frères. Et ils seront remplacés rapidement et avantageusement par d’authentiques frères de classe qui, jusqu'à présent, se méfient à juste titre de ces mouvements sans identité, qui sentent un peu trop le curé.
Cabu vient de publier un parallèle entre 1968 et 1986 chez La Découverte. Il illustre très bien le retour en arrière dont je vous entretenais plus haut. Ça s’appelle « Bien dégagé autour des oreilles », et ça vaut le coup. Croyez-en un ancien lecteur de Charlie-Hebdo.

Jean-François pour le C.R.O.A. (Cercle de Résistance à l’Oppression des Agenoutistes)