L’Histoire repasse les plats, mais ne fait que les réchauffer 

mis en ligne le 1 décembre 2011
Il paraît qu’au beau pays de France, tout se termine par des chansons. Ainsi, au-delà des drames et des espérances vécues, il y a toujours un refrain consolateur permettant de calmer les tensions, ou tout au moins de soulager les douleurs morales les plus vives. En est-il de même dans le domaine social ? Ce n’est pas évident ! Les refrains anciens nous suggèrent que rien n’a changé, entre deux embellies :

« Ah, ça ira, ça ira, ça ira
Les aristocrates à la lanterne
Ah ça ira, ça ira, ça ira
Les aristocrates on les pendra… »

C’est ce que les révolutionnaires de 1792 chantaient sur l’air des lampions. En fait de lanterne, ce qui était déjà évoqué c’est cette « Abbaye-de-monte-à-regret », qui devait faire le vide en débarrassant le pays du trop plein d’aristos. Il est vrai que la dérive ne devait pas tarder, et les dégâts collatéraux seront importants pour les représentants de la bourgeoisie montante. Lesquels, bien que s’étant coiffés du bonnet rouge, finiront par s’entre-égorger ; les survivants déroulant le tapis rouge pour Bonaparte. Quelques soubresauts plus tard – les barricades de juin 1848 et la Semaine sanglante de la Commune de Paris, en mai 1871 – les aristos étaient toujours là. Ils avaient juste changé de défroque et agitaient frénétiquement le drapeau tricolore pour tenter de convaincre le bon peuple de leur bonne foi.
Au cours des années 1930 de ce XXe siècle de progrès, un chansonnier anonyme, et relativement pacifiste, avait quelque peu complété les paroles du Ça ira, en y ajoutant quelques vers rafraîchissants quoique moins sanguinaires :

« Et si on les pend pas
On leur cassera la gueule
Et si on les pend pas
La gueule on leur cassera ! »

Certes, si le langage était fleuri, il ne gagnait pas en poésie pure mais l’engagement violent, ne serait-ce que par l’écrit, néglige trop souvent le rappel aux belles lettres. Ainsi pour compléter La Carmagnole, datant également de 1792, et qui s’en prenait à Monsieur et Madame Capet, un superbe couplet, daté de 1869, améliorait de superbe façon une revendication indispensable :

« Que désire un républicain ? (bis)
Vivre et mourir sans calotins (bis)
Le Christ à la voirie,
La Vierge à l’écurie
Et le Saint-Père au diable… »

Certes, les temps ont changé, et les puissants de ce monde se font de plus en plus représenter par des hommes (et des femmes) en armes, bien plus dangereux que les aristos ou les bourgeois, toujours en guerre contre « la canaille ». On ne fusille plus mais les prisons sont grandes ouvertes pour les récalcitrants. On ne guillotine plus mais comme au lendemain de la défaite des communards, l’État policier est de nouveau à nos portes. C’est ce qu’exprimaient, de façon prémonitoire, Jean-Baptiste Clément et Pierre Dupont :

« Demain, les gens de la police
Refleuriront sur le trottoir
Fiers de leurs états de service
Et le pistolet en sautoir.
Sans pain, sans travail et sans armes
Nous allons être gouvernés
Par des mouchards et des gendarmes
Des sabre-peuple et des curés… »

Paroles outrées, pourrait-on dire de nos jours. Pourtant comment serait-il possible d’oublier les fortes paroles de Nicolas 1er, lorsqu’il était en verve, en 2008, expliquant au bon peuple ébloui que « jamais l’instituteur ne pourra remplacer le curé ou le pasteur ! » Encore un effort, et celui qui se dit président de tous les Français nous expliquera que les meilleurs citoyens de ce pays portent l’uniforme bleu-marine. Bien sûr, il est toujours possible de persifler :

« Tout ça n’empêche pas, Nicolas
Qu’la Commune n’est pas morte… »

Il n’en reste pas moins que Nicolas est toujours bien présent, décidé à réaliser cette revanche sociale, vieille ambition des aristos et des larbins actuels du grand capital.

Les nouvelles étapes de la mise en condition
Revenons à cette lanterne, également résidence secondaire versaillaise où notre président prépare ses coups tordus, en compagnie de quelques affidés triés sur le volet. Parmi ses priorités, notons en vrac quelques gentillesses destinées aux citoyens qui s’obstinent à baisser la tête devant le maître :
– Travail forcé pour les chômeurs, pour en finir avec l’assistanat
– Blocage des salaires
– Enterrement progressif de la Sécurité sociale
– Constructions de nouvelles prisons
– Multiplication des expulsions de sans-papiers
– La justice mise au service de la police
– Destruction progressive de l’enseignement public
– Encadrement « civique » des jeunes des banlieues
– Remise en cause du droit de grève
– Recul constant de l’âge de la retraite
– Transformation des syndicats en courroies de transmission du pouvoir
– Chaque Français incité à devenir flic d’un autre.

Prévisions, en vrac, et non limitatives
Depuis ce charmant petit pavillon de La Lanterne, le président des riches serait en passe de réussir cette transformation sociale, tellement rêvée par des dominants désireux de remettre à plat les conquêtes arrachées durant un siècle de luttes. Cette évolution est souhaitée par au moins 50 % du corps électoral qui ne connaît de la démocratie que les coups de fouets reçus ponctuellement après chaque victoire des destructeurs des libertés. Il est vrai que le discours nationaliste qui berce les rêves des pervers – et des cons – a toujours admirablement fonctionné. C’est en prenant appui sur cette France, qui ne s’est jamais remise de son passé révolutionnaire, que Nicolas 1er espère « réformer » un pays dont il ne supporte pas qu’il puisse encore se cabrer face à ses diktats.
Notre président claudiquant, qui ne cesse de témoigner son mépris à cette France « d’en bas », doit trépigner d’une rage mal contenue, à l’idée qu’il pourrait perdre ce pouvoir, ambition malfaisante de toute une vie d’intrigues et de trahisons, y compris contre son propre camp, lorsque la realpolitik l’exigeait. Les maîtres du moment sont pourtant persuadés que le pouvoir – et le château – ne peut que leur appartenir de droit. Quiconque ose s’opposer à leur ambition est à classer dans la catégorie des fauteurs de troubles à l’ordre public. D’où la nécessité de cet État fort, en fait policier, qui ne dit pas son nom.

Des tronches de Frères de la Côte
Sans faire de la morphologie au rabais, il suffit de s’attarder sur ces faces de carême qui boivent les paroles du maître, et les démultiplient jusqu’à la caricature. Hommes et femmes confondus, chacun à sa manière, est franc comme un cheval qui recule lorsque leur tour est venu de faire de la pédagogie pour expliquer l’idéologie dominante. Qu’il s’agisse d’un Xavier Bertrand, qui a pour mission de détricoter le droit du travail ; d’un Luc Chatel (ancien DRH de l’Oréal) qui veut nous convaincre niaisement qu’il est possible de mieux éduquer avec moins d’enseignants ; d’un Claude Guéant, qui s’évertue à démontrer qu’entre l’UMP et le Front national, la différence ne peut être que légère. Si l’on tente de décrypter le discours d’un François Barouin ou de sa chambre d’écho Valérie Pécresse, on ne peut que se heurter à ce mur d’indifférence qui n’est rien d’autre que l’expression du dédain le plus profond envers ceux qu’ils sont censés convaincre. N’évoquons même pas la harengère Nadine Morano qu’il n’est pas nécessaire de décrire au-delà de ce qualificatif. Soyons vulgaires : du ministre de la Défense, Longuet, à celui de la Culture, Mitterrand, tous ont des tronches de Frères de la Côte !
C’est sous le signe du mépris affiché que ceux de la France d’en haut tiennent ce pays en laisse. Il n’en reste pas moins, qu’en certaines occasions, ces braves gens peuvent exprimer de la pitié et même de la commisération, mais ils n’évoquent jamais la solidarité nécessaire en un temps où la crise économique plonge dans la misère ceux de la France d’en bas. Ces millions de salariés, réduits à la misère au nom du profit qu’il convient de préserver, sont la preuve évidente de la dégradation de la situation de ces sous-citoyens qui ne valent pas tripette aux yeux des possédants, et de leurs représentants au pouvoir.
Celui qui bénéficie encore d’un travail régulier – même très mal rémunéré – est considéré comme un crétin privilégié qui n’aurait pas droit à la parole. Qu’il se contente d’exécuter sa tâche. S’il est harcelé, à l’usine ou au bureau, c’est pour le bien de l’entreprise ou du service. S’il n’est pas content, la porte n’est pas loin. Le travail serait-il donc la récompense absolue, quelque puisse être les conditions imposées à celui qui est exploité. « Travaille et tais-toi » pourrait être le discours réaliste tenu par ceux qui se présentent en sauveurs d’une parodie de démocratie décrépie.
Les bons esprits, qui vantent le modèle social français, qu’ils s’acharnent à détruire, ne cessent de nous rappeler que nous ne sommes plus au XIXe siècle. C’était en un temps où la bourgeoisie triomphante ne connaissait que la répression pour calmer les velléités des révoltés. Nous n’en sommes plus là, affirment les démocrates de l’UMP, tout en réfléchissant à la possibilité de légiférer pour limiter le droit de grève, avant de l’interdire.

Une droite dite républicaine
En un temps où il est question de faire travailler plus longtemps ceux qui attendent une retraite rognée, tout comme une population de plus en plus paupérisée, comment ne pas se rappeler cette chanson de Monthéus, écrite au début du XXe siècle, On d’vrait pas vieillir :

« On d’vrait pas vieillir quand on n’a pas d’fortune
On d’vrait pas blanchir quand on n’a pas d’sous
On d’vrait pas vieillir quand on est ouvrier ! »

C’est du passé, susurrent ceux qui veillent sur notre présent. Ce passé commence pourtant à ressembler à notre futur. Déjà, la droite dite républicaine a accouché d’une droite qualifiée de « populaire ». Laquelle ne se distingue guère du Front national. Au sein même de l’UMP, les anciens d’Occident ou d’Ordre nouveau ravivent leurs souvenirs de jeunesse viollents. Les Alain Madelin, les Longuet, Hervé Novelli, Claude Goasguen, Eric Raoult ou Patrick Devedjian sont toujours parmi nous, avec la volonté de nous rappeler qu’il est encore possible de se revendiquer sournoisement du régime de Vichy ; et le trépied « Travail, Famille, Patrie » peut de nouveau être à l’honneur. À l’heure où nos puissants ne cessent de vanter la valeur du travail, la mise au rancart des 35 heures, tout comme la nécessité de prendre sa retraite le plus tardivement possible, même lorsque le chômage ne cesse de progresser, le passé nous revient en pleine figure. Déjà, en 1932, dans sa chanson Dollar, Gilles lançait un avertissement toujours d’actualité :

«… Sous un ciel de cendre
Vous verrez un soir
Le Dieu dollar descendre
Du haut d’son perchoir
Et devant ses machines
Sans comprendre encore
L’homme crever de faim
Sous des montagnes d’or… »