Théâtre à Ornans : Proudhon rencontre Courbet

mis en ligne le 3 novembre 2011
Quand le rideau se lève, nous pénétrons dans l’atelier de Gustave Courbet, probablement aux alentours de 1855, alors qu’après avoir fréquenté la bohème parisienne et peint ses premiers tableaux, des autoportraits au style romantique, il se retire à Ornans dans la vallée de la Loue (Doubs). C’est durant cette retraite dans son pays natal qu’il invente un nouveau style : le réalisme. On le surprend avec Jenny, qu’il a emmenée avec lui en exil, et qui lui sert de modèle pour la figure centrale du tableau qu’il réalise sous nos yeux, L’Atelier du peintre. Tandis que Jenny s’impatiente et se « les gèle », Gustave tente de la réchauffer par la manière douce. C’est ce moment que choisit Pierre-Joseph Proudhon, franc-comtois, également venu visiter son ami, pour pénétrer dans l’atelier. Jenny, refroidie par l’aspect rigide de l’intellectuel philosophe, en profite pour aller s’aérer et laisse les deux amis entre eux. S’ensuit un échange pas piqué des vers entre le théoricien de l’anarchie et l’artiste, qui essaye de lui expliquer sa nouvelle vision de la peinture et notamment de L’Atelier. Courbet décrypte ainsi le tableau pour son ami : « Il s’agit d’une allégorie réelle déterminant une phase de sept années de ma vie artistique et morale. C’est le monde qui vient se faire peindre chez moi. » Et Courbet précise à Proudhon : « à droite, tous les actionnaires, c’est à dire les amis, les travailleurs, les amateurs du monde de l’art. À gauche, l’autre monde de la vie triviale, le peuple, la misère, la pauvreté, la richesse, les exploités, les exploiteurs, les gens qui vivent de la mort. »
Proudhon aussi peu séduit par le tableau (sur lequel, au passage, il se reconnaît, ainsi que le « poète bourgeois décadent » Charles Baudelaire dans la partie droite de l’œuvre), que par les explications que lui en fournit son ami, le juge léger et très peu politique. Une joute morale entre les deux hommes commence. Proudhon a du mal à comprendre et la démarche artistique de Courbet, et son acceptation des compromis pour vivre de son art. En effet, Courbet a l’intention de présenter, entre autres, L’Atelier au jury du salon de l’Exposition universelle de 1855. Comme le peintre est quasiment persuadé que le tableau sera refusé, il demande à Proudhon de l’aider à rédiger un manifeste sur sa conception politique et sociale de l’art, afin de réaliser un salon parallèle (aujourd’hui, on dirait « off »). Proudhon, peu convaincu, finit par céder au peintre qui, pour le laisser tranquille, disparaît. C’est alors que la belle Jenny, muse du barbouilleur social, revient dans l’atelier et essaye de « dérider » le philosophe en le provoquant. Proudhon le « misogyne » sort de ses gonds et expose à la malheureuse sa conception réductrice de la femme, y compris dans un monde libertaire… Revient alors Courbet, et les discussions théoriques peuvent reprendre de plus belle, jusqu’à ce qu’un ami braconnier du peintre débarque à son tour, comme un cheveu sur la soupe, avec un pâté de lapin plus que sûrement braconné, et un litre de mirabelle et là, la situation tourne au cocasse. L’alcool aidant, il devient de plus en plus difficile aux protagonistes d’expliquer, entre autres théories, celle du mutualisme au paysan qui, lorsqu’enfin il comprend le concept, se fout du philosophe en lui faisant remarquer que ça fait belle lurette que les fermiers se partagent les tâches, par exemple au moment des foins… Et ainsi, au tout- venant…
Ce petit chef-d’œuvre de Jean Pétrement interprété par les acteurs de la Compagnie Bacchus basée à Besançon – compagnie qui avait eu la gentillesse d’accueillir dans ses locaux la Fédération anarchiste pour son congrès de 2010 – est un véritable régal. La pièce dure une heure et quart et nous entraîne, malheureusement trop rapidement, dans un changement de rythme qui fait qu’on n’a parfois pas le temps de réfléchir sur les propos essentiels échangés par le peintre et le philosophe. Mais qu’importe, car ce qui empêche de penser, c’est justement le plaisir et le rire provoqués par la rencontre saugrenue de ces quatre personnages dans un seul lieu. On aura bien le temps, rentré chez soi, d’aller fouiller dans l’univers des ces deux anarchistes aux conceptions et modes de vie si différents et représentant deux visages importants de l’anarchie. Si, hélas, alors que nous bouclons, Proudhon modèle Courbet ne se joue plus à Paris, la pièce sera de passage le jeudi 3 novembre au Théâtre musical de Besançon, le vendredi 20 janvier 2012 au centre culturel de Cabestany, le mardi 14 février au Théâtre des Feuillants, le 12 mai à Tomblaine, au festival « Aux Actes Citoyens », etc. Précipitez-vous ! Pour tous renseignements : theatre.bacchus (arobase) wanadoo.fr.