CFDT : les « moutons noirs »

mis en ligne le 1 mai 1989
L'année 1989 verra-t-elle une nouvelle organisation syndicale dans le secteur sanitaire et social ? Il est encore trop tôt pour y répondre, mais certains éléments sont déjà réunis pour que cela soit possible.

Les syndicats exclus
Edmond Maire, relayé par Jean Kaspar, appelait à « assainir la situation » au congrès de Strasbourg : à chasser les « moutons noirs ». Le feu vert était donné pour une purge sans précédent quant à son ampleur. Deux structures régionales professionnelles (PTT et Santé Ile-de-France) sont ainsi rayées de la carte d'implantation syndicale, par leurs fédérations, depuis la fin novembre.
Des structures avec leurs syndicats qui apportaient à l'interprofessionnelle cédétiste de la région parisienne réflexions, débats, revendications, capacités de mobilisation dans la fonction publique ; mais aussi dans le secteur privé en ce qui concerne le secteur de la santé et du social, assurant ainsi un trait d'union public-privé essentiel dans l'action interprofessionnelle. Des syndicats qui développaient dans leurs fédérations un courant syndical qui, avec la reprise des conflits dans ces secteurs, risquait de s'étendre et mettre en péril les appareils fédéraux. Chacun comprend à quel point est explosive la rencontre de ceux qui portent un syndicalisme unitaire, revendicatif, de luttes et de transformation sociale, et de ces salariés qui reprennent l'initiative de la mobilisation avec pour exigences non seulement de gagner sur les revendications, mais aussi de contrôler le mouvement qu'ils ont su développer.
La fédération CFDT Santé-Sociaux avouera par la bouche de François Chérèque 1 qu'il fallait se débarrasser de ces fauteurs de troubles pour aborder sereinement le prochain congrès fédéral : les éliminer de tous les niveaux de décisions, comme lors des derniers congrès, ne suffit plus, il faut les mettre hors de l'organisation.

Les coordinations paralysées
Pour préserver l'appareil syndical, pour maintenir un syndicalisme de partenariat, de régulation sociale, il faut donc éliminer les « moutons noirs ». En même temps, on sauve le gouvernement Rocard. Car cette purge a non seulement coupé les ailes à plus d'une vingtaine de syndicats Santé et PTT en Ile-de-France, en leur ôtant locaux téléphone, courrier, matériel, droits syndicaux... mais a paralysé pour un temps le mouvement social, notamment dans la Santé.
Les coordinations infirmières et aides-soignants/agents-hospitaliers se sont, elles aussi, retrouvées dans la rue, puisque hébergées auparavant dans des locaux syndicaux.
À l'heure où il fallait retrouver un second souffle pour imposer une réelle application des accords Evin, et leur extension aux autres catégories et au secteur privé, les coordinations et les syndicats se démènent pour retrouver des locaux de réunion et de reprographie ; les militants syndicaux passant, pour le moment, plus de temps à expliquer les scandaleuses décisions fédérales aux équipes, aux adhérents, qu'à poursuivre l'activité syndicale proprement dite. Déjà, la fédération CFDT-Santé avec son appel « versaillais » 2, et ensuite avec la signature des accords Evin, avait participé à casser le mouvement des infirmières et des personnels de Santé. Elle avouait, par ses actes, sa défense du gouvernement et non pas celle des revendications des salariés 3. Des actes qu'elle peut mettre « honorablement » dans le panier garni de la recomposition syndicale à la mode social-démocrate. Convergence CFDT-FEN-FO, que la CFDT voudrait voir structurée pour l'Europe de 1993 et qui donnerait, au gouvernement actuel, une assise plus fiable, au prix d'ailleurs d'âpres débats et de règlements de compte dans le Parti socialiste et à FO principalement.

Les patrons se frottent les mains
Les sanctions qu'applique la fédération Santé-Sociaux prennent des formes diverses, si bien que la riposte et les réponses communes sont plus difficiles à déterminer. Les douze syndicats de la région parisienne et leur structure régionale sont « suspendus » et mis sous tutelle fédérale. Un syndicat est immédiatement « réhabilité », celui de l'Assistance publique, la fédération indiquant au directeur les « bonnes » et les « mauvaises » sections (à qui on retirera tous droits), les permanents à « licencier » et ceux qu'il faut garder. Des syndicats sont créés en parallèle de ceux « suspendus », à partir de quelques sections ou même d'individus qui font le « bon » choix.
Le syndicat de l'hôpital Sainte-Anne est « effacé », les décharges d'activité et les locaux étant supprimés depuis le 31 décembre sur ordre de la fédération auprès du directeur. Des militants sont démis de leurs mandats internes et externes 4. Des sections sont dissoutes. Les adhérents, les militants sont informés par les patrons (!) qui se frottent déjà les mains à l'idée de licenciements, de mutations ou de changements d'horaires vis-à-vis de certains syndicalistes trop virulents. Les ré-affiliations sont proposées aux sections qui font le ménage, par des tuteurs désignés par la fédération.

CFDT maintenue ou nouveaux syndicats
À aucun moment les syndicats n'ont été entendus par la fédération qui, par ailleurs, avec la confédération bloque toute expression dans la presse interne et même externe. Ils ne savent même pas les motifs des sanctions. Les 5 000 adhérents qui ont élu leurs représentants départementaux et régionaux n'ont pas plus été consultés. La CFDT définit démocratie et fédéralisme ainsi : aucun droit à la défense, décisions nationales descendantes, impératives et sans appel.
À ce jour, les syndicats interpellent le bureau national confédéral pour la mise en place d'une commission des conflits, sans aucune illusion quant à la réponse. Ensuite, une procédure juridique sera probablement engagée sur le respect des statuts. Pour l'heure, ils se maintiennent comme syndicat CFDT, réunissent leurs équipes en assemblée générale ou en congrès pour décider s'ils poursuivront comme CFDT-maintenue (bagarre d'appareil, au détriment sans doute de la lutte syndicale) ou bien s'ils créeront de nouveaux syndicats qui se coordonneront et se fédéreront à terme, pour construire un syndicalisme interprofessionnel de transformation sociale. Belle ambition, d'autant qu'ils envisagent d'élargir leur base syndicale vers les coordinations, par exemple. La réponse à la fin janvier.

L. N., groupe Pierre-Besnard





1. Conseiller fédéral Santé, mais aussi fils du sinistre syndicalo-préfet de région-ministre.
2. Appel des quatre fédérations CFDT-FO-CFTC-CGC à la Porte de Versailles, le 13 octobre : 5 000 personnes. Le même jour, 100 000 à l'appel de la coordination infirmière.
3. Revendications reconnues légitimes par l'opinion publique, les fameux usagers.
4. La répression touche aussi sept militants des hôpitaux civils de Lyon, qui ont participé ou soutenu ceux qui ont participé à la coordination parisienne.