Godin le « terroriste pâtissier » à l’encontre des crétins pompeux

mis en ligne le 2 juin 1994
Bernard-Henri Lévy présentait à Cannes le film Bosna ! et préparait son coup médiatico-politique avec sa liste Sarajevo pour les élections européennes. Il se complaisait dans ses comparaisons dépourvues de sens entre l’Espagne 36 et la Yougoslavie. Mais son show fut gêné par une tarte à la crème que beaucoup ont pu apprécier à l’image sur plusieurs chaînes. Mais ce qui est beaucoup moins connu, c’est qu’il s’agit de la quatrième fois que BHL se fait entarter. Et l’entarteur n’est pas un inconnu, c’est Noël Godin, qui fut accueilli récemment au festival d’expression libertaire du Mans. En fait, il est loin d’être le seul à entarter. Toute une équipe se mobilise pour préparer de tels coups. Leur point commun : la subversion ! Elle ne doit avoir aucune limite.
La subversion tout comme l’imagination, voilà des notions qui ne sont et qui ne doivent pas nous être étrangères. Elles sont souvent à l’origine de l’étincelle qui permet enfin d’exploser intellectuellement et de remettre en cause l’ensemble des préjugés que l’on a fait entrer dans notre vécu. Peu de gens sont arrivés aux idées libertaires après la lecture des treize tomes des œuvres de Bakounine. Et si tel était le cas, ce serait même dangereux… Mais revenons plus précisément sur cet entarteur qu’est Noël Godin.
Noël Godin fondera et dirigera la revue de cinéma Zazie, aujourd’hui disparue. Il collaborera ensuite à divers magazines et revues où il se fera remarquer par ses articles incisifs et sans concession. Il ira même beaucoup plus loin. « Pendant une quinzaine d’années, j’ai rédigé des interviews bidons pour les Amis du film. J’ai même fait la critique de films qui n’existaient pas. Aucune réaction. Au contraire, certains de mes confrères reprenaient mes craques comme telles… En journaliste contentieux, j’y sabotais au mieux mon travail, modeste. C’est ainsi que j’ai publié plus de 200 interviews de vedettes sans les avoir jamais rencontrées… ». Aucune plainte, cela devenait ennuyant. Alors, en 1972, il passera à la pratique avec un court-métrage de propagande militaire volé et détourné. Puis ce fut Prout Prout Tralala, qui provoqua un tollé d’indignations au festival du super 8 de Bruxelles en 1947. C’est l’histoire d’une vieille dame qui se libère complètement, et se met réellement à vivre comme elle l’entend. En 1976, ce sera Grève et Pets où est racontée une insurrection dont l’objectif est clairement énoncé : l’abolition du prolétariat et l’avènement du plaisir généralisé.
Mais Noël Godin se fera surtout connaître comme expert en gags désolants. Cela ira d’interventions subversives lors de différents colloques aux pets pré-enregistrés diffusés en pleine messe de requiem à la cathédrale Sainte-Gudule de Bruxelles, en passant par un lâché d’oiseaux lors du final des Oiseaux d’Hitchkock dans une salle de cinéma, et jusqu’aux célèbres entartages. Ces tartes proviennent très souvent de chez Nihoul, un des meilleurs pâtissiers de Bruxelles. Patrick Bruel, Marguerite Duras… auront eu le plaisir de les goûter. Ces personnes se croyant au-dessous de tout, rabaissées par ces fantaisies, n’apprécient guère. On ne peut pas oublier cette image d’un Bernard-Henri Lévy, philosophe notoire, donneur de leçons, qui voudra casser la gueule de Noël Godin, et à l’occasion montrera devant les caméras sa réelle image : derrière le pseudo-philosophe règne un beauf. La tarte à la crème a une vertu : elle révèle le caractère profond des victimes.
Noël Godin aime à se réclamer du « terrorisme pâtissier » ou du « terrorisme burlesque ». Ses cibles : les crétins pompeux et les imbéciles solennels. Il s’agit de « tuer dans le ridicule les momies culturelles qui vous bavent sur les rouleaux les ennuyeuses mucosités de leur increvable talent ».
Tout le monde n’appréciera pas, même chez les gens de la gauche bien pensante. On a pu lire récemment : « On a compris que le Belge ne plaisantait pas… Arme désarmante, masquant dans sa non-violence formelle une violence fondamentale… Une arme belge, certes, mais une arme. » Pauvre Libération s’indignant de la violence de tartes à la crème tout en applaudissant les bienfaits d’une guerre chirurgicale.
Seulement, Noël Godin souhaite que ce terrorisme culturel aille au-delà des milieux culturels. Les tartes atterriront entre autres sur le visage de Marc Lalonde, ministre canadien des Relations fédérales provinciales, ou de Billy Carter, frère de l’ex-président des États-Unis, ainsi que sur un ministre belge. Son souhait : « Un ouvrier de chez Toyota entartant un chef de service d’IBM et un employé d’IBM entartant un contremaître de Toyota, ce serait chouette ». Et pourquoi pas de la colle forte dans les serrures de toutes les banques ? De la subversion dans tous les domaines, et qui rejoint à ce niveau le thème de son livre publié en 1988 aux éditions L’Age d’Homme, Anthologie de la subversion carabinée. Énorme ouvrage de 816 pages où l’on peut entre autres lire : Desproges, Ravachol, Darien, Pouget… Comme Noël Godin le disait à l’époque : « Aussi lourd qu’un pavé, idéal pour assommer le vigile de la FNAC et se carapater avec à l’œil. »
Par moments, on pourra y croiser un certain Choron se réclamant, malheureusement pour nous, de l’anarchisme. Et qui fait la même erreur que les éditions Que sais-je ? dans leur livre intitulé Les anarchistes de droite, à savoir limiter l’anarchisme à la liberté de l’esprit, en supprimant toute la vison sociale sur laquelle s’est pourtant fondé le mouvement libertaire. Noël Godin vaut malgré tout largement le détour, d’autant qu’il se prononce sans hésiter pour l’abolition de toutes les formes d’exploitation, pour l’abolition du salariat…
Alors n’hésitez pas à vous lancer, vous aussi, dans cette vindicte pâtissière ou autre idée subversive… Le rassemblement des méchants insoumis de Preuilly-sur-Claise (cf. ML n°958), avec sa bouffe squattée dans un supermarché, est aussi un acte subversif très intéressant. Comme le rappelait Gil dans ce précédent numéro : « Un peu d’imagination et d’humour marquent plus que les sempiternelles manifestations sinistres et déprimantes et sans impact réel ! »