Procès du Coral : la vérité sort de la bouche des journalistes

mis en ligne le 23 janvier 1986
Trois ans que je gueule pour qu’on nous fasse justice ; trois ans qu’on essaye en vain de m’empêcher de continuer le Coral ; trois ans qu’on nous lance de la boue, qu’on nous discrédite, qu’on veut nous détruire.
Aujourd’hui, enfin le procès. Nous sommes en plein milieu. L’accusation se limite à un climat qui veut faire croire à l’opinion publique, par l’intermédiaire de sa presse tant aimée, que le Coral est un « lieu merveilleux mais trouble » et ce aux dires d’un super-flic qui est venu « spontanément interroger les enfants avec huit de ses collègues, revolvers au poing ».
Deux enfants sont venus dire à la barre que j’avais essayé une fois (en tout et pour tout) de les embrasser sur la bouche...
Pour en arriver là, il aura fallu quarante-trois mois d’enquête et neuf tomes de papiers empilés sur quatre fauteuils de la 10° chambre correctionnelle de Paris. Que faisons-nous à Paris amalgamés avec deux pédophiles que nous ne connaissons ni d’Eve ni d’Adam ? Le procureur me répondra : « parce que Krieff vous a dénoncés ensemble ». Krieff : absent, en fuite en Israël. Salzmann : absent, malade.
Restent dans le box : Marie, trois copains et un ancien du Coral ; en face un procureur et trois juges qui sont à deux mille lieux de savoir ce qu’est un lieu de vie et qu’on a volontairement mis dans un climat. Qu’on ait sorti un des inculpés de l’hôpital psychiatrique et qu’il soit maintenant capable de vivre seul, tout le monde s’en fout ; qu’on ait sorti un autre inculpé de son isolement et de la drogue, tout le monde s’en fout.
C’est le procès des pédés : on est donc tous des pédés.
Et le flic de service de tout résumer en une phrase : « J’ai eu le sentiment d’avoir affaire à des soixante-huitards qui, sous prétexte qu’il est interdit d’interdire, refusaient de voir la réalité. » Et pourquoi pas des attardés communards de 1871 ?
Non, monsieur le commissaire, nous ne sommes pas des irréalistes. Nous aimons la vie ; nous respectons la différence et nous tentons de vivre avec. Nous prenons des risques et nous en sommes fiers. Toutes les saloperies que vous nous lancez à la figure sont votre piètre réalité faite de grisailleries, de triste moralisme aigu, de répression et d’assouvissement au pouvoir. C’est tout et bien peu, mais nous le savons.
Quant à la justice, elle est ce qu’elle est ; elle nous condamnera si ça arrange le pouvoir, elle nous relaxera si ça ne le gêne pas. De toute façon, nous continuerons : nous et d’autres. Qu’elle sache que cela n’empêchera pas d’autres lieux de vie de naître ailleurs, d’autres possibilités de surgir.
Nous sommes comme des rhizomes : un bout est détruit, dix poussent à côté. Et cela c’est la vie ; celle qui nous anime, celle que nous aimons. La lutte est plus que jamais nécessaire pour que des espaces comme le Coral puissent continuer. Des espaces où la répression, l’enfermement, l’institution, le pouvoir sont relayés par le partage, l’autogestion, la vie communautaire, la créativité, la poésie.
Et nous avons besoin non seulement du soutien mais de l’engagement concret de tous les libertaires de ce pays qui savent que l’alternative telle qu’elle est vécue quotidiennement dans les lieux de vie est un pas important vers un monde que nous désirons.

Claude Sigala