Crâne vs matraque : le Medical Funky Fight Team attaque les plaies et les bosses

mis en ligne le 13 octobre 2011
1646MFFTSuite au mouvement social contre la réforme des retraites en octobre 2010 et devant le constat d’une généralisation de la violence de la répression policière, une équipe de soutien médical dans les manif/actions, le Medical Funky Fight Team, s’est organisée à Caen afin de gérer collectivement les premiers soins nécessaires en situation de crise. Dans ce contexte de lutte sociale, des temps de formation menés dans une logique d’autonomie et de réappropriation des soins, ouverts à toutes et à tous, se sont également déroulés et du matériel a été réuni.
S’il nous paraît important à l’avenir de s’organiser et d’assurer une présence dédiée aux premiers secours dans toutes les situations potentiellement conflictuelles, il est tout autant nécessaire d’élargir nos réflexions et nos pratiques concernant la médecine. Et cela d’autant plus que cette dernière nous semble la porte d’entrée idéale à la politique que nous défendons. C’est pourquoi, au début de l’année 2011, nous avons décidé de créer ce collectif médecine libertaire.

Un contexte socio-politique…
Si l’on part du dernier mouvement social en France, dit « contre la réforme des retraites », le constat est simple à faire. L’État s’assoit sur la volonté du peuple et favorise la classe bourgeoise qui se trouve aux commandes administratives, industrielles… On retrouve ainsi un système étatique capitaliste prônant le libéralisme à tout va et mêlant oligarchisme et népotisme (favoritisme que les dirigeants font à leur famille et leur entourage au détriment du peuple). Le résultat en est une démocrature, sorte de néo-fascisme qui rampe insidieusement à l’intérieur de nos vies.

…qui induit de graves conséquences sur la médecine !
C’est donc dans ce contexte que nous retrouvons la médecine occidentale dominante. Cette médecine n’a pas de théorie générale de la santé de l’homme en société. On l’entend se gargariser de sa toute-puissance, de ses dernières prouesses, de ses victoires contre la mort et la vieillesse, mais toujours, elle reste muette dans le champ socio-politique.
Et quand il lui prend de se préoccuper de prévention, elle y pense en tant que prévention des maladies, dont le premier modèle fut celui de la vaccination, et dont les modèles actuels s’attachent à l’action sur les facteurs de risque. Ce n’est pas rien, mais c’est tout autre chose qu’un programme de travail sur les facteurs de santé qui intégrerait d’une part les enseignements issus de l’étude des inégalités de santé, d’autre part les rares travaux qui ont tenté de penser la question dans la complexité de ses dimensions physiologiques, psychologiques et sociales. Et quand elle tente de les intégrer, elle prône un discours sur la « nécessaire » responsabilisation du malade, tandis que les réelles pratiques autogestionnaires dont nous nous revendiquons se doivent de rester absentes.
C’est pourquoi selon nous cette médecine est en réalité partout et nulle part à la fois.

Une médecine à la fois partout…
Partout, car elle cherche à s’approprier nos corps et nos esprits dans une logique marchande et rentable.
L’organisation du système de santé actuel ne se pense plus en terme de projet collectif, mais découle directement de logiques managériales. Ainsi des dernières lois concernant le fonctionnement hospitalier, on trouve un budget accordé en fonction d’une tarification à l’activité (la loi dite T2A) qui suppose que tout acte de soin peut et doit être chiffré (quid de l’écoute, des temps informels, etc.) ; les lois dites « Hôpital Entreprise », qui en renforçant le pouvoir administratif par rapport à celui des soignants, entérinent définitivement l’idée que le but premier d’un hôpital n’est plus de soigner, mais bien de générer des bénéfices.
Cela se traduit dans les services par la multiplication des formulaires à remplir, des protocoles de plus en plus abscons, ne laissant ainsi plus de temps ni d’espace à l’aléatoire et à la créativité humaine.
En revanche le temps et l’espace ne servent plus qu’à améliorer la rentabilité et la mise en compétitivité du secteur de la médecine comme si elle était un secteur industriel comme un autre. Cette mutation, en plus d’introduire symboliquement dans nos esprits que le soin est une marchandise, permet concrètement à quelques dirigeants de s’engraisser. Les firmes pharmaceutiques engendrent ainsi des bénéfices à hauteur de plusieurs dizaines de millions d’euros continuant sans cesse de grossir leur champs d’ac tion. Et si cela est possible c’est que leurs liens avec le pouvoir politique sont extrêmement intimes, intimité elle-même favorisée par les institutions (exemple de l’AFSSAPS structurellement en conflit d’intérêts).
Cette médecine est partout encore, car elle tend vers une isolation et une normalisation des individus à des fins de meilleur contrôle social.
L’injonction à gérer son capital santé, via les campagnes dites de santé publique, via la culpabilisation de ceux qui ne s’y conforment pas (l’alcoolique, le fumeur, le gros, etc.), place les comportements individuels comme principale explication à la maladie. Exit le questionnement collectif quant aux racines d’une société cancérigène, addictogène, suicidogène, etc. qui selon nous est clairement le fruit d’une politique durement menée par l’État. Par exemple, les suicides sur le lieu de travail (phénomène très récent) sont présentés comme des gestes de personnes dites fragiles, mettant ainsi de côté toutes réflexions et actions concernant la souffrance liés au travail salarié en lui-même.
Et puis la déviance sociale et/ou le trouble à l’ordre public sont dorénavant les critères majeurs pour nous faire entrer dans le domaine du pathologique, pour nous assimiler au fou (forcément dangereux), qu’il faut réinsérer à tout prix ou qu’il faut éliminer derrière les barreaux des asiles ou des prisons s’il résiste… À l’encontre de cette pensée réductrice, il nous semble primordial de comprendre la souffrance psychique d’une personne à la lumière de son histoire singulière, de son inscription particulière dans un système (familial, institutionnel, etc.) lui-même potentiellement « fou ».
Partout toujours, quand il s’agit de réduire l’humain à un pion que l’on doit customiser. La médecine a désormais droit de regard et d’action sur chaque moment de nos vies. Elle ne s’intéresse plus exclusivement au domaine de la maladie, mais on a recours à ses experts pour s’assurer que nous sommes toujours plus compétitifs et performants (coaching, médicamentation de nos émotions qui pourraient s’avérer contre-productives, voire germes d’une possible remise en question de la marche du monde). Et aussi que nos corps soient toujours un peu plus conformes et conventionnels (développement de la chirurgie esthétique, discours eugéniste qui s’ancre peu a peu dans les mentalités…).
Avec cette médecine, nous sommes dans la fabrique, effective et symbolique, d’un seul modèle possible d’être au monde, une seul norme : celui de l’Homme performant, l’Homme marchandise, être lisse s’emboîtant parfaitement dans les rouages d’un système politique aliénant.

…et nulle part à la fois
Elle n’est nulle part quand on aborde la notion d’inégalités d’accès aux soins. La médecine n’a jamais été aussi puissante scientifiquement et techniquement et pour autant on constate un recul considérable d’accès aux soins de base pour les sans-papiers, pour les étudiants précaires et pour les plus pauvres d’entre nous.
Et géographiquement sa désertion est aussi manifeste. La concentration des lieux de soins dans les grands pôles économiques et touristiques laisse les habitants des régions rurales et des quartiers pauvres sans recours facile et rapide aux structures sanitaires.
Et cette médecine n’est nulle part non plus, dans le sens où elle nous dépossède de notre pouvoir de décision, mais aussi de notre individualité.
Elle favorise un discours d’expert, souvent technique, froid et pragmatique, qui ne laisse aucune place à la subjectivité et à l’autonomie. Elle accentue notre dépendance face aux pouvoirs scientifiques et industriels, en les érigeant comme seules autorités de référence en matière de soins.
Les pratiques alternatives, autonomisantes sont systématiquement diabolisées (la chasse aux sorcières est toujours de mise, mais elle revêt maintenant un visage légaliste).
Enfin, elle est encore nulle part, du fait de la méfiance d’une bonne partie de la population envers les institutions qui l’abrite. L’État et ses industries sont les principaux responsables des souffrances physiques et psychiques que nous subissons et dans le même temps les principaux gestionnaires des institutions de santé. Ce paradoxe cynique et insupportable ne peut que provoquer de la méfiance. Cette dernière est, selon nous, légitime mais à la fois inquiétante puisqu’elle amène la population à se désinvestir de ses problèmes de santé. Nous n’attendons aucune remise en question des dirigeants, mais refusons radicalement qu’ils continuent dans cette direction.
La meilleure défense, c’est mieux que l’attaque, c’est l’autogestion !
C’est donc toute cette médecine que nous refusons. Et même si nous sommes solidaires des luttes en cours pour la sauvegarde de l’hôpital public, notre critique se veut d’aller plus loin.
En effet, c’est la globalité du système que nous voulons détruire. L’hôpital, même public, même gratuit, reste un lieu où la dépendance aux pouvoirs médicaux et industriels reste totale.
Nous revendiquons la réappropriation du savoir (médical et autre) par d’autres formes de transmissions, de prises de décision et de gestion.
À la transmission verticale et autoritaire, nous préférons les partages et échanges horizontaux et égalitaires. Plutôt qu’une prise de décisions secrète et fermée, nous souhaitons des assemblées générales populaires et des débats se rapprochant du consensus. Et aux gestions rentables et excluantes, nous opposons des gestions autonomes et libertaires.
À la volonté d’uniformiser nos corps et nos esprits, nous répondons que nous aimons nos disparités, nos rapports au monde différents, nos folies intérieures et extérieures. Que soigner pour nous, c’est apaiser une personne en souffrance sans jamais l’amputer de son individualité et de sa capacité de décision.
Contre une médecine protocolaire, nous revendiquons notre envie de trouver un langage commun pour parler notre rapport à la douleur, la mort, le deuil, la folie, la guérison, l’acte de soins…
Nous défendons ainsi coûte que coûte les pratiques autogestionnaires, favorisant la réappropriation globale de nos vies. Nous voulons ainsi provoquer un maximum d’autonomie collective basée sur l’entraide et la solidarité, laissant le choix à chacun de s’investir comme il le veut/peut dans le collectif.
Nous prenons ainsi comme exemples les libertaires d’Espagne de 1936, qui, auto-organisés, sont parvenus à autogérer dispensaires de soins, hôpitaux, cliniques, maternités et même industrie pharmaceutique !
C’est dans ces perspectives que nous proposons donc ce collectif médecine libertaire, ouvert à tous et à toutes, et aussi appelé club med' pour les intimes.
Pour mettre à bien nos réflexions et convictions nous faisons des projections, des discussions, des débats…
Nous proposons aussi des ateliers plus pratiques (cueillette de plantes sauvages médicinales, initiation à l’hypnose, formation street medic…) et des permanences pour prise en charge collective de problèmes en lien avec la médecine.
Nous cherchons à nous inscrire dans des réflexions et des pratiques à long terme, ayant bien conscience que tout est à déconstruire, reconstruire, construire…

Romain, Groupe sanguin de la Fédération anarchiste