Chronique néphrétique

mis en ligne le 13 octobre 2011
Sarkozy a raison : pour être présidentiable, faut pas être normal. Même si on la joue « modeste, proche du peuple », penser pouvoir représenter 60 millions d’individus, c’est le comble de la mégalomanie ou de l’inconscience. Assurément, personne de « normal » ne peut penser un truc pareil… On pourrait même qualifier d'« utopiste » une personne capable d’imaginer un tel système politique ! Cela ne marchera jamais. Hollande déconne: il n’y a pas de président « normal ».
Je crois me souvenir que petit, j’ai voulu un moment devenir président de la République. Y en a d’autres dans le même cas, je le sais. Mais à la plupart, ça nous est passé avec l’âge. Comme le Père Noël. Mais que penser de gens qui, adultes, se veulent Père Noël à la place du Père Noël ! ?
Dire qu’on ne peut même pas les enfermer, puisque nous sommes contre les asiles et les prisons… Faudrait les laisser jouer tranquilles, seuls dans leur coin. Malheureusement, c’est nous qui y sommes, au coin.
Nous, sommes-nous « normaux » ? Moi, oui. Je suis presque très normal. Je vais au boulot tous les jours, j’ai une voiture, je paie mes traites pour ma maison, « auto-boulot-dodo ». Je vis en famille, marié, deux enfants, bientôt trois, je paie mes impôts, j’arrête là : je suis normal (pas besoin de me dire que l’on peut être chômeur, célibataire, en vélo et tout aussi « normal », je suis d’accord).
« Normal »? Pas tant que cela, j’écris dans Le Monde libertaire. Et en 2011, comme depuis des lustres pour tous ceux qui m’ont précédé, cela nous donnerait plutôt un brevet « d’anormalité ».
Évidemment, nous serions 5 000 à écrire dedans et 5 millions à le lire que je serais déjà un peu plus « normal ». Et justement, tel est mon objectif, que j’espère partagé par beaucoup d’entre vous : je voudrais être normal parmi les normaux.
Agrandir le coin, pour que toute ma classe s’y retrouve… Et dans ma classe, y a de tout. Des quidams, des réformistes, des jeunes qui connaissent rien à rien, des beaufs qui savent tout, mon plombier, des vieux, des « qui font pas d’politique mais quand même ça peut pas durer », des croyants, ma mère, des centristes, des électeurs de droite, des cocos, des bobos, des écolos, des mères voilées qui viennent chercher leurs enfants en même temps que moi, des qui ont une conscience de classe, d’autres qui comprennent même pas mon jeu de mot. Bref les gens, tout le monde, sans exclusive.
Pour que cela change, pas besoin de proclamer : « Père Noël est mort ! » et de piquer tous les cadeaux, suffit qu’ils se convainquent qu’il n’existe pas, comme Moloch, Zoroastre et Zeus avant lui.
Pour les cadeaux, pas de problème, ils se les offriront eux-mêmes. Facile, puisque ce sont eux qui les fabriquent.
Reste à les convaincre, et surtout qu’ils se persuadent de ne pas remplacer Noël par Poël, Moël ou qui que ce soit… C’est notre boulot, notre spécificité, le clou qu’il faut enfoncer sans cesse, l’idée récurrente qui doit traverser toute notre propagande, toutes nos interventions, toutes nos pratiques.
S’adresser à tous directement, avec pour axe « cette critique des pouvoirs qui ont des intérêts opposés aux nôtres ». Cela nous est plus facile qu’à d’autres puisque nous ne cherchons pas à gagner des places ou des postes, nous sommes dégagés des calculs politicards, nous n 'appelons pas à « Votez pour nous ».
Mais « s’adresser à tous directement », cela signifie prendre les moyens pour être entendus. S’assurer que le message passe clairement, n’est pas parasité, qu’il arrive aux oreilles ou aux yeux, puis vérifier que le cerveau a bien enregistré le message, sans trop de déformation. Or en communication, souvent les premiers « parasites » sont créés par les émetteurs eux-mêmes. Un tic de langage, une gestuelle inappropriée, un bruit répété par le stylo ou un bijou suffisent à détourner l’attention du public, à lui faire perdre le fil du raisonnement, à ridiculiser l’orateur. Qu’en est-il de notre message ? Est-il seulement audible ? Quels sont les parasites que nous créons nous-mêmes et qui font obstacle à une bonne compréhension de notre discours ?
S’adresser à tous, ce n’est pas s’adresser à un noyau de convaincus. Et pour nous, anarchistes, par principe, ce doit être de poser les questions qui permettront le raisonnement, plutôt que d’afficher les réponses qui le closent. Ces questions, de plus en plus de gens, confusément, ou très clairement, se les posent. Affichons-les, autocollons-les, hurlons-les, glissons-les partout. Et nos réponses peuvent venir après, pas d’emblée. Car souvent, ce sont elles les premiers parasites : « Grève générale ! Autogestion ! » Incantations inutiles, incompréhensibles pour beaucoup, mots d’ordre prématurés, repoussoirs même.
Qui a pris cette décision ? Comment ? Pour l’intérêt de qui ? Répondre à cela au quotidien, éclairera bien plus sur la situation et amènera du monde à l’autogestion, par « capillarité ». Ce n’est pas rien d’être en phase avec les interrogations du moment, ne loupons pas l’occasion !