"Affaire Rushdie" : les esclaves de Dieu

mis en ligne le 9 mars 1989
Nées de la peur et de l'ignorance, puis imposées, soutenues ou tolérées par le pouvoir politique, sous toutes ses formes, qui a su voir et trouver en elles l'indispensable complice pour légitimer et perpétuer sa domination, les religions ont tour à tour connu des flambées d'intolérance identiques à celle que nous vivons aujourd'hui, ou pire encore.
Cela ne doit pas surprendre, et seuls les tartuffes de l'indignation sélective s'en étonneront. Faisant reposer leur prétendue autorité divine sur des écrits fourre-tout, où des personnages historiquement discutables accomplissent des exploits de bande dessinée dans des contes à dormir debout, les Églises – toutes les Églises ! – ont prétendu au rôle de « police des âmes », en souhaitant étendre leur influence au-delà du strict régiment des fidèles.

« Police des âmes »
Pensée, comportement, hygiène, sexualité, elles ont, sous couvert de morale et dans un but évident de soumission, enfermé la vie de l'individu, sous tous ses aspects, dans un carcan de contraintes et d'interdits. Et cela depuis la nuit des temps. Il est logique, et inévitable, que cette fonction première d'enrégimentement aux fins d'asservissement donne naissance, au sein de chaque Église, à des courants extrémistes ou radicaux.
Le succès de leurs thèses et la surabondance de fanatisme qui en découle sont affaire de lieu, d'époque et de circonstances. Aussi est-il plaisant – ou, plutôt, navrant – de lire et d'entendre partout que les manifestations d'extrême intolérance auxquelles a donné lieu le « contrat « lancé par Khomeyni sont « d'un autre âge ». Car si la sauvagerie de l'appel au meurtre du sinistre barbu de Téhéran place aujourd'hui l'islam au premier rang des valeurs montantes de l'obscurantisme assassin, d'autres religions affichent, dans ce domaine, un palmarès enviable pour tous ceux de leurs fidèles qui aiment à hurler à la mort sous le regard bienveillant d'un dieu qui, comme chacun sait, est amour...
Ici et ailleurs, l'incendie d'une salle de cinéma, la multiplication inquiétante des sectes de tout poil et de leurs pratiques fascisantes, entre autres, nous rappellent que le bon vieux temps n'a pas rendu l'âme et que des Saint-Barthélemy ne demandent qu'à fleurir. La faiblesse des réactions, ici en France, des représentants de l’Église catholique, qui se souviennent que la Terre est ronde, est à cet égard révélatrice. Révélatrice également cette affirmation d'un Decourtray qui semble légitimer la condamnation à mort pour crime de pensée et la chasse à l'homme qui s'ensuit.
De Copernic à Scorsese, la « conscience « des croyants de sa clique a souvent été heurtée. Et on a vu, en effet, ce que cela pouvait donner. Les tribunaux de l'Inquisition et ses bûchers, les nervis du Christ-Roi, la terreur imposée durant des siècles par la mafia apostolique et romaine le disputent dans l'odieux aux propos et agissements d'un monde islamique galvanisé par le vieil épouvantail de Téhéran.

La « conscience » des croyants
Est-il besoin de rappeler, également, que cette « conscience » des croyants s'est accomodée de bien des saloperies, comme elle s'arrange aujourd'hui des tueries et massacres d'Irlande, du Liban et autres lieux saints.
S'agissant de l'islam, il est parfaitement incongru de ne parler de fanatisme qu'à l'occasion de l'affaire Rushdie. Car, là encore, la « conscience » des croyants, heurtées par des écrits « blasphématoires », avale sans sourciller l'élimination physique de tous les opposants à un régime où l'islam est religion d'État, l'enrôlement des jeunes enfants pour la guerre, les femmes voilées et recluses à perpétuité, etc. Situation d'autant plus navrante que les régimes politiques des pays de l'islam profitent grandement de cette aptitude à la soumission d'hommes abdiquant toute dignité, s'abandonnant à des singeries liturgiques millénaires qui ne leur apportent jamais le pain et la liberté dont ils sont privés.
Quand on lui demande ce qu'il fait dans la vie, l'un des organisateurs de la manifestation parisienne anti-Rushdie précise qu'il est un « esclave de Dieu ». Aussi saugrenue et lamentable qu'elle soit, cette réponse nous montre bien ce que peuvent devenir des croyants quand leur religion a le vent en poupe. Pharaons, rois, empereurs, tsars et autres despotes ont régné longtemps sur des multitudes d'esclaves qui n'avaient pas choisi de l'être. Ceux-là relevaient parfois la tête pour dire non à leurs conditions de sous-hommes et tenter de mettre à bas l'autorité.
Nos esclaves modernes, ceux de Dieu, ne cessent de ramper que pour désigner et mettre à mort les incroyants. Revendiquant leur condition d'esclave, leur but est de nous imposer le silence et de nous faire partager leur esclavage.
Ennemis du fanatisme et de l'intolérance, il convient de l'être aussi des religions, qui les portent en elles comme la nuée porte l'orage.