Sorties cinéma

mis en ligne le 29 septembre 2011
Attenberg de Athina Rachel Tsangari
Les cours d’éducation sexuelle les plus drôles de l’année ou de la décennie, on verra. Marina (Ariane Labed, prix d’interprétation à Venise) vit avec son père architecte dans une ville industrielle sans attraits apparents. Elle demande à son amie Bella de lui apprendre les baisers et les éléments rudimentaires indispensables à l’approche de l’autre sexe. Les deux filles s’entraînent et c’est délicieux. Elles tirent la langue, esquissent des pas de danse, sont originales à chaque instant et pourtant chacune est dans sa vérité et loin des déhanchements à la mode. Elles s’adonnent entièrement à ces cours ludiques ou jeux délirants d’initiation, bref aux plaisirs de la vie. Marina, dans sa demande de tout apprendre et de tout savoir théoriquement et pratiquement, Bella dans sa façon intéressée d’approfondir les contacts avec son amie et sa façon d’écouter sa demande et ses besoins. Mais Marina se documente aussi par ailleurs : cette partie du film est très drôle, car elle étudie – avec l’aide des documentaires animaliers de Sir David Attenborough – en quoi le comportement humain ressemble à celui de certains animaux, y compris dans leur activité sexuelle. Et puis, le hasard aidant, elle rencontre un homme qui l’attire, qui est attiré par elle et qui continue à lui apprendre certaines choses, à la surprendre souvent. Il ne semble pas être pressé, mais finit quand même par la prendre dans ses bras. Parallèlement à ces expérimentations du monde du sexe et de l’approche de l’autre, Marina vit avec son père qui est malade. Elle l’accompagne à ses séances de chimiothérapie. Et cette vie-là est une épreuve, car elle adore son père qui le lui rend bien. Elle a l’habitude de parler de tout avec lui : la vie, l’amour, la maladie, la mort. Et elle se rend bien compte qu’il est de plus en plus faible. Il va mourir. Il ne veut pas être dévoré par les vers. Il demande une incinération. C’est impossible en Grèce. Donc Marina organise le transfert de son corps et va rapporter ses cendres. L’art de Athina Rachel Tsangari consiste à nous montrer que les choses de la vie sont complexes, mais pas désespérées. Plus c’est difficile à dire ou à faire, plus cette réalisatrice devient subtile. Les relations sont profondes, difficiles par moments, mais riches et multiples : entre générations, entre hommes et femmes, entre femmes et leurs doubles. Chaque être existe pleinement. Le ton et les dialogues révèlent son talent pour la comédie, alors que nous sommes souvent dans le drame, la maladie et la mort d’un proche : l’apprentissage des sentiments nécessite parfois un ton grave, mais il y a toujours des gestes et des paroles apaisés et le rire n’est jamais loin.

Restless de Gus van Sant
Deux jeunes gens – lui, Enoch (Henry Hopper, fils de Dennis Hopper, dont c’est le premier rôle) et elle, Annabel (Mia Wasikowska) – s’imposent en quelques plans. Des plans de vie, ils en ont plein. Elle en a plus que lui. Annabel a un cancer, elle sait qu’elle est condamnée. Mais lui aussi a une histoire douloureuse à gérer. Il a perdu ses parents dans un accident de voiture. Lui seul a survécu. Son chagrin est immense. Pourquoi a-t-il survécu ? Pourquoi doit-il souffrir de cette infamie d’avoir été laissé en vie, pour toujours ? Il voue un culte à ses morts. Il squatte les enterrements. Ce n’est pas du tout à la manière de Harold et Maud. Tout au contraire, il oublie de vivre sa vie. Et c’est le défi du film : cette jeune fille condamnée, qui n’a plus que trois mois à vivre, va lui apporter le souffle, l’envie, la fantaisie, le désir de vie qui lui font si cruellement défaut. Un dessin sur la chaussée. Les traits de craie blanche qui dessinent les contours d’un corps. Enoch et Annabel vont s’y glisser, s’allonger par terre, épouser les traits et s’y lover. Tant qu’ils sont encore en vie, ils peuvent témoigner joyeusement de l’absurdité de ces accidents qui arrêtent brutalement les battements de cœur de personnes humaines. Elle lui apprend à respirer, à écouter les bruits d’oiseaux. Elle est une grande spécialiste de la matière animée, elle engrange les bruits, les couleurs, les manifestations du vivant. Amateur de livres, condamnée à passer beaucoup de temps au lit, elle étudie la botanique, la biologie. Son savoir immense, sa curiosité sans fin font d’elle une sorte de Pygmalion pour ce jeune garçon déboussolé, qu’elle recueille comme un animal abandonné. Ils passent des heures délicieuses ensemble. Annabel le protège à tous points de vue. Il oublie un peu que c’est elle qui va l’abandonner pour de bon, puisque son temps est compté. Et puis un autre personnage ajoute de l’épaisseur à leur histoire. Un aviateur kamikaze japonais, Hiroshi (Kase), joue avec Enoch à d’interminables parties de bataille navale. Personne vraie ou fantôme venu d’un monde révolu pour rappeler le prix de la vie et l’absurdité de l’histoire et des guerres ? En tout cas, bien plus qu’une présence amicale, Hiroshi est un rappel de la grande histoire et du prix de la vie. Il veille sur Enoch et aime ausssi Annabel, cette jeune fille si exceptionnelle. Gus van Sant continue à nous proposer des portraits de jeunes gens, capte comme personne d’autre leur grâce, leur colère, leur générosité. Aux antipodes d’Elephant, ce film marche dans les traces de My Own Private Idaho et de Paranoïd Park, privilégiant les portraits sensibles. Restless est une somme de l’immense délicatesse que ce cinéaste déploie au service de l’évocation de l’âge ingrat et merveilleux à la fois, où certaines personnes traversent des épreuves dignes des plus grandes tragédies, alors qu’ils sont encore à la frontière de l’adolescence et de l’âge adulte. Un film à la fois joyeux, grave et bouleversant.