Radio-Libertaire : dix ans et toutes ses dents

mis en ligne le 24 janvier 1991
Dix ans... une goutte d’eau dans l’Histoire de l’humanité, sans doute ! Mais déjà une bonne tranche de vie à l'égard des premières minutes d'émissions de Radio-Libertaire sur la bande FM. Les copains qui, un soir de septembre 1981, étaient regroupés autour d'une table de camping dans une cave de Montmartre étaient loin de pouvoir imaginer que Radio-Libertaire deviendrait par la suite l'un des symboles de la radio libre en France. À cette époque, les moyens de Radio-Libertaire étaient quasi inexistants : quelques amis s'étaient cotisés pour acheter un émetteur italien, un ampli japonais, trois micros américains, un tourne-disque russe et un téléphone (français peut-être ?) posé dans le lavabo… l'évier, lui, servant de cabinet pour les urgences !
Des conditions d'émissions qui furent sans doute, au départ, celles de pas mal de radios libres. Mais auxquelles bien peu ont résisté. Très vite des requins, voyant l'argent qu'il y avait à se faire dans ce nouveau créneau, n'hésitèrent pas à se vendre corps et âme aux régies publicitaires, tandis que de nombreuses, plus petites, plus honnêtes ou moins téméraires, cessèrent bientôt de vivre. Radio-Libertaire a survécu à cette rude compétition et continue à défier les règles de l'économie capitaliste. Le chiffre d'affaires d'un an de la station doit être égal à celui d'une journée de certaines autres.
Pourtant, la radio de la Fédération anarchiste n'eut pas à affronter que ses consœurs gloutonnes : dès le début, elle eut droit à la visite des flics de la Direction de la surveillance du territoire (DST) et au brouillage. En 1982, le gouvernement « socialiste » décide de mettre de l'ordre dans la bande FM et de n'autoriser que quelques radios à émettre. Radio-Libertaire n'en fait bien sûr pas partie. Manifestations, blocages de standards, pétitions, télégrammes en provenance des quatre coins de la planète aboutissent à la reconnaissance de notre station par le pouvoir rosé le 1er février 1983. Mais nos émissions seront aussitôt brouillées et à nouveau interdites par la Haute autorité de l'audiovisuel. Le matin du dimanche 28 août 1983, à 5 h 40, la police prend d'assaut les studios de Radio-Libertaire, saccageant le matériel et sciant l'antenne.
C'est compter sans l'esprit particulièrement « teigneux » des militants anarchistes et le soutien actif des auditeurs. Dès le 3 septembre suivant, alors que plus de 5 000 personnes manifestent dans la rue, les émissions reprennent en direct de nos studios réaménagés d'urgence.
Le 15 mars 1984, Radio-Libertaire acquiert enfin un studio digne de ce nom, grâce notamment à l'argent récolté lors du gala de Léo Ferré à l'Espace BASF, qui s'est tenu quelque temps auparavant. Et un beau jour de 1987, la « voix sans maître » se voit enfin reconnue par le gouvernement libéral-socialiste et est autorisée à émettre sur 89.4 Mhz. La dernière attaque de la part de l'État date d'octobre 1989 : prétextant une puissance d'émission supérieure à celle autorisée (alors que nous étions en permanence brouillés par deux stations de puissance dix fois plus forte I), le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) tenta à nouveau de nous interdire, mais il recula bien vite sous l'avalanche de pétitions, appels téléphoniques et lettres envoyés par des auditeurs vigilants, ainsi que par de nombreux artistes et personnalités à qui la « voix sans maître » avait donné la parole.
Cette lutte pour la liberté d'expression radiophonique n'est cependant qu'une partie du combat quotidien de la Fédération anarchiste pour vraiment « changer la vie », pour instaurer un véritable socialisme reposant non sur des discours politiciens, mais sur une réelle justice sociale, sur une réelle liberté individuelle.
À l'heure où la barbarie de nos dirigeants se déchaîne, envoyant la mort sur des centaines de milliers de civils au Moyen-Orient pour mieux protéger la fortune de leurs amis de Texaco, Elf-Aqurtaine et Thomson ; à l'heure où l'information est plus que jamais déformée, truquée, manipulée, encadrée par la puissance militaire ; à l'heure où l'Occident chrétien et l'Orient musulman s'arrachent la liberté de millions d'hommes et de femmes, l'existence d'une voix réellement libre est une nécessité primordiale. Radio-Libertaire, la « voix sans dieu ni maître » s'élève et s'élèvera encore contre tous les mensonges, contre toutes les guerres, contre toutes les censures... Grâce à la vigilance de tous ses auditeurs.

Pascal Petit