Sans pub et sans reproche

mis en ligne le 19 avril 1984
Il y a quelques années, apparaissait en France le mouvement des radios libres. La quasi totalité d’entre elles prônait un développement d’une communication sociale émancipée du rouleau compresseur publicitaire et des compromissions politiques. Leur démarche était en complète opposition de celle des médias officiels, asservis aux requins du monde politico-financier. Les défricheurs de furent pas les mieux servis, les héros (à but lucratif) de la dernière heure héritèrent des marrons que d’autres avaient tirés du feu.
Bien sûr, l’arrivée légale de la publicité sur les ondes était prévisible, et nous l’avions prévue, malgré les affirmations intransigeantes des pantins des ministères. Aujourd’hui, nous n’avons pas à juger les radios qui souhaitaient ouvrir leur antenne à la « pub », ni n’avons à appeler contre elles à un revirement des gens de pouvoir et leur flicaille. Nous avons simplement des choses à dire et des points de vue à affirmer.
Tournez le problème et retournez-le, reposez-le à la mode du jour, optimiste, béate et fière de l’être, rien n’y fait. La publicité reste cette technique, cet ensemble d’actions psychologiques qu’on exerce sur une population donnée dans un but commercial, pour l’inciter à acquérir des produits ou « bénéficier » de services. La publicité est non seulement une gamme technique destinée à la manipulation des esprits mais aussi une pièce essentielle de la société de profit, dans laquelle la production conditionne la consommation et non l’inverse. Intimement liée, donc, à l’économie de marché, elle cherche à faire connaître pour vendre, augmenter la production et écouler la surproduction. La technique a fait ses preuves et ceux qui détiennent ce pouvoir, ce rôle charnière dans la société de consommation ont su en tirer les plus grands profits. La technocratie s’est enrichie d’un beau fleuron : le publicitaire.
Le champ d’action de la publicité dépasse celui de l’économie et influe même sur la culture. Les limites qui nous imposons à nos désirs sont celles de nos moyens. Inciter à consommer implique donc une argumentation non rationnelle. Les « pubeux » l’ont bien compris. Pour accomplir sa tâche, la publicité détourne donc nos motivations, désirs et freins intimes, crée des stéréotypes socio-culturels, impose leur image à la foule comme but à atteindre. Elle entretient une esthétique de la réussite individuelle dont a besoin ce système pour durer. Au passant stressé, elle offre un environnement « ludique » et « optimiste », quelques couleurs sur la grisaille, un bonheur en trompe-l’œil.
On a pu croire aussi, que par certains aspects la publicité – cherchant éternellement des ouvertures rentables- pouvait ouvrir des créneaux, lever des tabous. Rien n’est moins sûr. La révolution sexuelle, par exemple, a été détournée par les publicitaires qui ne nous offrent en réalité que le spectacle caricatural d’une pseudo libération des corps. Les fantasmes hygiéniques et bourgeois de Jacques Séguéla n’ont rien à voir avec la liberté sexuelle. Inutile de croire à une nouvelle forme de publicité. La publicité est toujours incitative ; la subtilité n’est pas plus honnête que le matraquage.
Enfin, comment penser au financement des organes radiophoniques par la « pub » sans envisager immédiatement et de façon incontournable la mainmise des groupes politiques et financiers sur les organes en question ? Nous pensons, pour notre part, à l’expérience de Radio-Libertaire, qu’une radio peut s’autofinancer pour peu qu’elle réponde aux besoins de son auditoire. Nous posons en revanche cette question aux radios et à leurs auditeurs : une radio dont le financement est assuré par les marchands de soupes (lessives, thon-mayonnaise,…) peut-elle encore s’appeler, en toute honnêteté, « radio libre » ?


Luciano Loiacono