La Convergence de Lézan : collectifs contre le gaz de schiste

mis en ligne le 15 septembre 2011
1642SchisteEn mars 2010, le cabinet de Jean Louis Borloo, alors ministre de l’Environnement, accordait de nouveaux permis d’exploration de gaz de schiste. Des firmes pétrolières – dont Total – allaient donc pouvoir fouiller les territoires de la Drôme, de l’Ardèche, du Gard, de l’Aveyron, entre autres, en tout 8 % du territoire national. Le 20 décembre 2010, avait lieu la première réunion publique à Saint-Jean du Bruel en Aveyron, déclenchant la création de dizaines de collectifs locaux opposés à l’exploitation des gaz de schiste et affirmant qu’ils s’opposeront physiquement s’il le faut au moindre chantier. Le débat éclate au grand jour, et les collectifs d’opposants multiplient les manifestations, aidés par un large spectre politique d’élus et une opinion globalement défavorable à une exploitation dévastatrice que le film américain Gasland de Josh Fox décrit bien.
Fin juin 2011, sous la pression, le gouvernement interdit seulement l’usage de la fracturation hydraulique, et non pas la recherche ou l’exploitation de gaz de schiste. Les opposants ne décolèrent pas et décident d’organiser un rassemblement national pour concrétiser la convergence des opposants au gaz de schiste qui sont regroupés à travers 140 collectifs (chiffre de juin 2011). Le département de l’Aveyron est un temps envisagé puis délaissé au profit du village de Lézan, dans le Gard, qui bénéficie d’un site approprié et d’un nombre important d’opposants.
Le rassemblement eût lieu du 26 au 28 août sous le nom de «Convergence citoyenne pour la transition énergétique ». Cet événement fut un succès : 15 000 personnes annoncées par les organisateurs. Le comité de pilotage et les collectifs contre les gaz de schiste auraient été submergés, s’il n’y avait pas eu une participation spontanée très forte de bénévoles, et du matériel prêté. Le terrain devait initialement être prêté par la mairie (PCF), il a finalement été loué environ 7 500 euros.
Aucune organisation politique ne pouvait être présente en tant que telle, le mouvement se voulant apolitique, la Fédération anarchiste ne put donc pas y apparaître avec un stand, mais les militants locaux participèrent aux débats et ateliers.
Même si l’origine du mouvement d’opposition à l’exploitation du gaz de schiste doit sans doute beaucoup au réflexe «pas dans mon jardin », les discussions, lors des ateliers et des séances plénières, revenaient quasi systématiquement sur des questions, qui dépassaient largement le seul problème des gaz de schiste, l’énergie, l’eau, les services publics, la coordination des luttes, la justice sociale, la gratuité, le capitalisme, l’organisation étatique, l’autogestion, l’autonomie, la désobéissance civile, nous avons ainsi pu constater une forte sensibilité anticapitaliste, de fréquentes revendications pour l’autogestion – y compris parmi des intervenants ! –, et une présence très significative du courant antinucléaire. Du coup, même si des élus ont eu une tribune 1, la tonalité d’un bon nombre d’interventions aux micros étaient très critiques avec les représentants républicains et surtout leurs institutions. Le recours à la justice dans la lutte fut régulièrement critiqué, l’appel aux institutions jugé souvent favorable aux puissances d’argent et aux professionnels du compromis, et la proposition de l’action directe (c’est-à-dire sans intermédiaire), valorisée devant l’entêtement gouvernemental ; et le capitalisme ressenti comme un ennemi à abattre. Bref, bien des paroles prononcées nous donnaient la sensation d’être comme des poissons anarchistes dans l’eau… et si la présence d’une sensibilité écolo-mystique (projection d’un film L’esprit du temps) et de discours parfois réactionnaires éco-fascisants (la catastrophe écologique approchant nous imposerait des recours autoritaires) 2 a été constatée ici et là à Lézan, il faut bien dire qu’ils n’étaient pas le fait des organisateurs.
En revanche, certains intervenants, invités par le comité de pilotage, ont créé une polémique, en particulier le cas de Robert Pilli, chef de projet d’agrocarburant à l’Adea (Association de développement des entreprises en Afrique), cette dernière organisant un forum annuel (Eurafric-partners) d’entreprises européennes, qui se partagent le gâteau du développement africain, dans un style parfaitement capitaliste. Une controverse l’a opposé à Fabrice Nicolino. Il y a aussi eu le cas de Frank Hatem, hyperscientifique et métaphysicien, qui n’a pas pris la peine d’apporter son moteur à énergie libre, malgré un réel intérêt du public.
La Déclaration de Lézan – véritable feuille de route – élaborée au cours de ces trois jours par les organisateurs et des rapporteurs de chaque débat, et actée le dimanche, est un bon reflet de la diversité des opinions exprimées, mais aussi d’une certaine forme de radicalisation politique sur les perspectives de luttes écologiques et sociales et de projet politique. Le recours aux élections n’apparaît pas, et la nécessité de sortir du capitalisme et de faire converger les luttes et les expérimentations est bien présente. Et si le « contrôle citoyen» apparaît nettement, c’est aussi que ses partisans sont organisés et pèsent fortement sur les débats. Différemment des porteurs de l’idée autogestionnaire et anticapitaliste, pourtant très présents dans le public, mais qui sont peut-être hors des organisations favorables à ces thèses et du coup, ne font pas suffisamment contrepoids.
C’est aussi, là, pour nous, un défi à relever.

Groupe Gard Vaucluse de la Fédération anarchiste



1. L’atelier « Comment mobiliser et lutter contre les permis d’extraction des gaz de schiste ? » n’était animé que par des élus.
2. Une participante aux Indignés de Paris défendit les thèses du réactionnaire Soral, par exemple.