Sous le signe de Tartuffe

mis en ligne le 1 mai 1956
Georges Clemenceau a écrit : « L’Église présidait logiquement aux bûchers qui devaient consumer tant de penseurs et tant de livres. » Elle continue, et toujours très logiquement.
Tartuffe tient la chandelle éclairant le monde. Reçu à l’UNESCO après un coup de maître, l’assassinat du poète Garcia Llorca, il n’a pas hésité en 1951, courageusement, à monter son derrière de moine bien nourri à la tribune de Palais-Bourbon pour faire voter des lois antilaïques. Barangé, c’est son bien, son rejeton, son honneur; mais ne parle-t-on pas maintenant de le flanquer dehors comme un vulgaire poujadiste ?
Alors Tartuffe s’embrouille dans son indignation fabriquée à la hâte, se démène, souffle, sue, pousse des cris de vieille demoiselle offensée, soupire après le bûcher, le beau bûcher d’antan qui n’aurait fait qu’une flambée de tous ces mécréants… Il essaie, pour le moment, de détourner la conversation : « Voyons, il y a d’autres questions plus urgentes ». On lui répond qu’en 51 la guerre d’Indochine battait son plein, ce qui ne l’a pas empêché de… oui, oui, bien sûr… Il a bon espoir tout de même. Un député, cela s’achète; un vote, c’est comme un imperméable Boussac : réversible.
Tartuffe ne brûle plus Galilée, comme avant. Il se contente de propager Delly. Il est facile à lire. Il n’embarrasse pas l’esprit de pensées inutiles, et c’est un grand philosophe qui sait glisser, entre deux pétales de rose, dans un coin, des réflexions de bon goût : « C’était un homme sans foi ni loi, il avait reçu une éducation entièrement laïque ». Quand le bourgeois veut quand même réfléchir à une autre chose, Tartuffe connaît l’art de lui couper « le blé en herbe »; il sait bien que si l’homme pensait un peu trop à cette autre chose, il ne lui resterait plus qu’à fermer boutique.
Et si enfin on réclame un peu fort la liberté de penser, il répond très sérieusement, très doctement, l’index levé : « L’Église catholique convaincue de par ses prérogatives divines d’être la seule vraie Église ne doit réclamer que pour elle le droit à la liberté » (R. P. Caralli).
Un peu partout dans le monde Tartuffe promène sa face grasse et pâle. Il brûle, censure, bâillonne, nous prend Voltaire, nous donne Magali ou au mieux Daniel-Rops, passe sans coup férir de Pétain à de Gaulle, et de de Gaulle à Bidault, se transforme entre temps en maître goupillonner des armées, rit tranquillement à la barbe de celui qui a dit : « Tu ne tueras point », se fout ouvertement de notre figure et crie à la persécution quand on lui fait poliment observer qu’il passe les bornes.
D’une croix taillée il y a deux mille ans pour l’amour et la fraternité il a fait un assommoir.

Henri Gougaud