Transports publics et gratuité

mis en ligne le 11 novembre 1982
Une vieille histoire que cette gratuité des transports ! Les précédentes luttes se sont surtout attachées à mettre en évidence les avantages sociaux d’une telle réforme (suppression des classes, accès facilité pour les personnes handicapées…). L’association TGV (Transport gratuit des voyageurs) s’engage dans une étude économique au début de l’année 1982.
Les idées de base reposent sur la suppression des charges de contrôle et de billetterie : une économie de quelques milliards de francs. La gratuité représente pour la collectivité une facture apparente de vingt milliards de francs. Ce coût peut sembler excessif aux yeux du contribuable.

Intérêts économiques
Cependant, selon une source officielle, le tarif zéro entraînera un transfert de 15 % du trafic individuel vers le collectif. Le premier intérêt de cet attrait réside en une diminution sensible du prix du kilomètre-voyageur des transports en commun (0,21 F au lieu de 0,35 actuellement).
Le second, plus probant, est lié aux économies dues à la diminution du trafic individuel. En plus du coût d’usage et des charges de construction et d’entretien de la voirie, les coûts sociaux de la circulation individuelle (accidents, pollution, bruit, consommation d’espace, parking, congestion…) pèsent lourdement sur le budget collectif. Pour l’année 1981, le coût social de l’automobile a dépassé quatre cents milliards de francs, si bien que le transfert ci-dessus représente, grâce à la décongestion, une économie monétaire dépassant les soixante-dix milliards de francs (le travail de la population active pendant plus d’une semaine) et une économie de temps de 2,8 milliards d’heures.
Rappelons la facture de la gratuité des transports : vingt milliards de francs. Pour le seul exemple des accidents de la route (coût : 74 milliards de francs en 1981), ce transfert aurait permis de couvrir plus de la moitié de la facture et d’éviter deux mille morts et quelque cinquante mille blessés ou infirmes.
Globalement, les économies représentent trois à quatre fois le coût apparent de la gratuité des transports.
Même en tenant compte des frais de reconversion du personnel de billeterie-contrôle et d’une amélioration qualitative et quantitative des services, le surplus d’économies réalisables serait encore suffisant pour combler quelques « trous » budgétaires de la Sécurité sociale (6,6 milliards en 1981) et autres Assedic (12 milliards de francs en 1981).
La gratuité généralisée d’accès aux transports publics est donc une réforme d’intérêt général, et nous pouvons émettre quelques doutes quant à la compétence de nos ministres ! D’autant que plusieurs centres urbains ont mis en place des services de transports gratuits dont le succès et la rentabilité ne sont plus à démontrer.

Les objections
Est-il possible de justifier ce refus par l’insuffisance d’infrastructures de transports collectifs ? Le faible taux d’occupation -30 % sur l’ensemble du réseau et seulement 18 % en région parisienne- permet un report important. Le problème de saturation aux heures de pointe peut être résolu :
- sur les grandes lignes par une augmentation du nombre de véhicules ;
- sur les réseaux urbains par un allongement des rames de métro et l’aménagement de couloirs d’autobus, mais surtout par un étalement de ces périodes critiques (horaire libre, réduction du temps de travail et du nombre de journées ouvertes…).
Si ce n’est le manque d’infrastructure, peut-on imaginer que le problème du chômage est cause de refus ? Il faut savoir que si un salarié doit travailler une journée pour faire 150 kilomètres en voiture, deux heures lui suffiront pour faire le même trajet en transports en commun. D’où une alternative à déterminer : soit nous choisissons la voiture et nous acceptons de cautionner la société de gaspillage qui assure le plein emploi de la population active, soit nous préférons subventionner les transports en commun, en veillant aux intérêts de la collectivité, c’est-à-dire offrir le même niveau de consommation avec un travail humain minimum. Il serait aberrant de continuer à privilégier l’usage de la voiture particulière sous le prétexte que la tôle froissée aide au développement de l’industrie automobile que chaque année les trois cent mille victimes des accidents de la route maintiennent l’emploi dans le secteur médical, que les douze mille morts évitent aux pompes funèbres une crise liée à l’augmentation de l’espérance de vie.

Résolution économique
Nombre d’économistes bien-pensants voient dans l’augmentation du taux de croissance une lutte efficace contre le chômage, mais la production est toujours en retard sur le potentiel de productivité de notre technologie, si bien que le chômage est en constante augmentation en dépit de la création d’emplois inutiles (publicité, flics…), voire nuisibles (armée, nucléaire…). Le monde change plus vite que nos pensées !
Sur ce simple exemple des transports, il est facile de montrer que la gestion publique n’est pas faite au mieux des intérêts de la collectivité. Cette constatation est à mettre en évidence dans tous les domaines de besoins essentiels : santé, logement, nourriture, communication, éducation…
Alors qu’il serait plus rationnel de limiter notre production à notre consommation et notre consommation à nos réels besoins : consommer pour vivre et non vivre pour consommer, nous constatons aujourd’hui le schéma inverse.
La gestion des services publics ne sera efficace que par la décentralisation des prises de décision et la participation individuelle, pour que chacun participe à la gestion et bénéficie des bienfaits de la société.
Il est difficile d’admettre que la prospérité économique conduise à un programme d’austérité. La richesse collective, c’est-à-dire l’ensemble des revenus distribués, doit correspondre à la somme des produits et des services proposés. Or, la production ne cesse de croître pendant que la participation humaine nécessaire à cette production diminue grâce au développement technologique. Si bien qu’il devient de plus en plus évident que le salaire n’est plus en rapport avec le travail humain, mais correspond au pouvoir d’achat des biens de consommation produits.
Dès aujourd’hui, certains revenus sont dissociés d’un quelconque travail. C’est le cas des allocations familiales ou des allocations de logement, des assurances chômage ou maladie, des congés payés ou de formation, des bourses d’études, des pensions de retraite ou d’invalidité, etc.
Si bien que la doctrine religieuse et bourgeoise « Tu gagneras ton pain à la sueur de ton front » tend à disparaître et avec elle la notion de salaire. La revendication en faveur de l’abolition du salariat, réalité économique, se confirme de jour en jour.

Moyens d’action
Actuellement, il est important de reprendre en mains certains moyens de pression et certaines revendications :
- prendre conscience personnellement de son rôle de gestionnaire de la société comme consommateur ou usager, comme producteur (regard sur l’utilité, la qualité, la quantité, la distribution des produits) ;
- s’interroger sur la cohérence de l’actuel prélèvement des charges sociales. Outre que ce système immoral pénalise l’individu sur sa participation à la société (tout comme l’impôt), alors qu’il devrait faire payer le consommateur en fonction de l’utilité des produits acquis, il pénalise également les entreprises à faible taux de productivité (SNCF, RATP, sidérurgie, textile…). En pratique, imposons que les charges sociales soient non plus prélevées en fonction de la masse salariale, mais sur le taux de profit des entreprises ;
- mettre au panier les slogans caduques des syndicats et des partis politiques qui revendiquent le « plein emploi », cautionnant ainsi, pour les plus grands intérêts de la classe capitaliste, la création de postes inutiles. La juste revendication de l’être humain est les « plein revenu » ;
- adapter le droit de grève aux conditions actuelles. On constate en effet que l’arrêt de travail, moyen d’action traditionnel, n’est plus vraiment efficace lorsqu’il gêne plus l’usager que le patronat. En revanche, un conflit de la SNCF qui permet aux usagers de se déplacer librement sans acquitter le prix des titres de transport, aboutit rapidement à la satisfaction des employés d’une part grâce au soutien populaire, d’autre part et surtout parce que le système se trouve saisi à la base même de sa raison d’être : le profit. La grève de gratuité offre une voie nouvelle vers la décentralisation des décisions, vers une participation des producteurs et des consommateurs à la gestion sociale de leur planète ;
- défendre, en tant qu’usagers, nos intérêts légitimes afin d’obtenir le contrôle des tarifs et de la gestion des entreprises. Le boycott des produits et la grève des paiements des services publics sont d’efficaces moyens pour faire entendre nos revendications.
Dans le domaine des transports, le tarif zéro est pour la collectivité le tarif le plus rentable ; les grévistes du titre de transport refuseront donc d’être assimilés à des « fraudeurs ».

C.G.