Le laboratoire des chèvres

mis en ligne le 23 juin 2011
Le bon sens voudrait que les services secrets ne recrutent que des personnes d’esprit stable et de mœurs éprouvées. La lecture du livre de Jon Ronson, The Men Who Stare at Goats (Les Hommes qui regardent les chèvres), tend à jeter un doute à ce sujet.
Il raconte en effet, entre autres, l’étrange aventure du Goat Lab, le laboratoire aux chèvres, et du First Earth Batallion, le premier bataillon terrien. Dans ce laboratoire aux chèvres américain, on menait des recherches fascinantes ; par exemple, comment transférer les gènes qui permettent aux araignées de filer leurs fils (plus résistants que l’acier) à des chèvres qui produiraient un fil surpuissant dont on tisserait des gilets pare-balles d’une légèreté extraordinaire ? On testait toutefois aussi l’hypothèse selon laquelle un guerrier pourrait faire éclater le cœur de son adversaire. Par la pensée.
Car si Uri Geller peut ramollir une petite cuillère par la pensée, on ne voit pas pourquoi un US Marine échouerait à faire exploser le cœur d’un rastaquouère par la pensée.
On ne s’en tenait pas là, puisque l’invisibilité était elle aussi enseignée, simple extension de la notion de camouflage.
Tout ceci était l’œuvre du lieutenant-colonel Jim Channon. Il avait remarqué au Vietnam que la thèse du général Marshall selon laquelle seuls 15 à 20 % des soldats américains ont tiré sur leurs adversaires pendant la Seconde Guerre Mondiale était exacte. Les recrues normales n’aiment pas assassiner. Perturbé par une telle inefficacité, Jim Channon reçut de l’argent du Pentagone pour étudier plus de 150 organisations, sectes, thérapies énergétiques, ayurvédiques, cosmiques et karmiques, centres de rééquilibrage du Ki, écoles de communication avec les anges, laboratoires de vibrations éthériques et autres « instituts de malice » comme les nomme l’Abrégé de Démonologie de Jacques Vaquié (éditions Jeanne d’Arc). En 1979, Channon écrivit le First Earth Battalion Operations Manual. Les « Warrior Monks » les moines-guerriers qui composeraient le bataillon seraient équipés de régulateurs à ginseng, d’instruments de prophéties, se nourriraient de plantes « intensifiant la vision nocturne », de haut-parleurs diffusant des paroles de paix, ou des sons discordants en cas d’hostilité (on sait que, depuis le siège de Noriega au Panama ou de David Koresh à Waco et jusqu’aux séances d’interrogation à Guantanamo, l’armée américaine utilise l’arme sonore avec une certaine efficacité). Ils sauraient arrêter leur cœur volontairement et sans conséquences mortelles, calculer plus vite qu’un ordinateur et lire les pensées de l’ennemi.
Non seulement Jim Channon ne fut pas chassé de l’armée, mais on l’encouragea ! Car il savait parler. Ainsi, Channon ne proposait jamais une « retraite » de méditation. Retraite est un vilain mot, à l’oreille des militaires. Mais un « raid intérieur », voilà qui enthousiasme les guerriers.
Le First Earth Battalion Operations Manual contenait aussi des idées simples, à la source de la recherche en armes non-mortelles. Un soldat aura moins de scrupules à contrôler un ennemi qu’à le tuer, et les médias ne publieront pas de photographies de sacs en plastique noir pleins de viande américaine. Jim Channon est donc le père spirituel, et parfois direct, des haut-parleurs directionnels ciblant des ultrasons sur telle ou telle personne, du filet électrique délivrant des chocs électriques si on se débat, des grenades lumigènes d’intensité insupportable (effectivement utilisées par les unités antiterroristes pour désorienter quelques cruciales secondes les preneurs d’otages), voire de la très amusante (si l’on n’est pas sa victime) mousse collante, que l’on doit vaporiser sur l’ennemi et qui, en se solidifiant, le paralyse. En Somalie, pour la première et jusqu’à présent la dernière fois, la mousse collante fut utilisée devant une foule déterminée à remplir des sacs de plastique noir de viande américaine. Mais elle ne fut pas lancée sur les manifestants. Les soldats espéraient simplement créer un mur entre eux et leurs adversaires. Stupéfaits, les Somaliens virent ce drôle de mur blanc se solidifier. Puis avec l’esprit que donne parfois l’ignorance, une fois qu’ils en eurent vérifié la solidité, ils l’escaladèrent pour reprendre l’attaque.
Le Goat Lab dérivé des conseils de Channon aurait réussi à tuer des chèvres par la seule force de la pensée, selon Guy Savelli, un professeur d’art martial. Savelli aurait été le tueur, mais aurait refusé de continuer à tuer assez de chèvres pour que l’expérience puisse être statistiquement validée, ne souhaitant pas accumuler trop de mauvais karma. Il aurait néanmoins consenti à enseigner l’art du meurtre par la pensée. On ignore si Osama Bin Laden est déjà trépassé, mais Jacques Chirac et Denis Galouzeau de Villepin sont bien vivants.