Impressions judiciaires : premier tour

mis en ligne le 10 mars 2011
Tribunal d’instance de Villeurbanne. Jeudi 24 février 2011. Dix heures du mat. Météo poisseuse et pluvieuse.
Plusieurs dizaines de personnes sont pourtant sur le trottoir, entourant Preda et Octavian, les deux pères de famille roms, extrêmement nerveux.
Les membres du collectif 31BB déploient drapeaux et banderole avec comme inscription : « Un toit, c’est un droit, la réquisition un devoir », sur les grilles et installent une table devant l’entrée avec des tracts et une espèce de thermos géant pour offrir une boisson chaude aux passants.
À l’intérieur du bâtiment, il y a comme un début d’affolement. La présidente du tribunal en personne sort pour venir nous signifier que banderole et drapeaux la dérangent vraiment. Fort civilement, elle insiste sur le « vraiment », surtout pour la banderole…
Qu’à cela ne tienne ! Banderole et drapeaux sont accrochés sur le providentiel grillage d’un chantier jouxtant le tribunal, et la table au thermos géant déplacée d’un bon mètre au moins.
À la suite de Me Guy Nagel, notre avocat, la moitié d’entre nous s’engouffre dans les lieux. Perplexité de la jeune préposée au portique de l’entrée et nouvelle légère tension dans l’air. La jeune fille se fait confirmer que les audiences du tribunal d’instance sont bien ouvertes au public.
Finalement, tout le monde arrive au premier étage et s’entasse dans le couloir menant à la salle d’audience, plongée dans un silence sépulcral. On a quasiment l’impression que ceux qui sont en train de passer au prétoire chuchotent à l’oreille du juge, à tel point le silence est quasiment total.
Dans le couloir, on attend, Me Nagel nous a dit d’être patients : il y a plusieurs dizaines d’affaires avant celle qui nous préoccupe. Alors, on essaye de meubler le silence, mais pas trop fort surtout. Preda et Octavian, eux, restent muets.
Puis soudain, tout s’accélère : notre cas semble passer finalement plus vite que prévu. À mon avis, on doit déranger en bouchant le couloir.
L’audience dure moins de quelques minutes : notre avocat demande son renvoi pour manque de temps de préparation du dossier et l’obtient. L’audience est reportée au 24 mars.
Un mois : cela peut paraître peu, sauf que pour certains, c’est immense ! Quand Preda (puis Octavian) comprennent qu’ils ne seront pas dehors demain ou après-demain, leurs visages s’illuminent. Ils ne peuvent plus s’empêcher de sourire, ils sont hilares.
Au point d’en agacer le juge qui fait remarquer aux assignés qu’il n’y a rien de franchement drôle dans tout cela.
Mais, monsieur le juge, vous ne comprenez pas : ces hommes sont en train de rire non de vous ni de la justice, mais de joie. Ils vont rentrer « à la maison » pour dire à leur famille que, ce soir, tous vont pouvoir dormir en paix.
Un mois pour vous, ce n’est peut-être rien. Pour eux, à cet instant-là, c’est tout.

Anne Sizaire
Pour le collectif 31BB