Projet : une école libertaire à Oléron

mis en ligne le 1 juillet 1992
Signe des temps en ces temps où le signe est roi, cette image de l’école est actuellement en train de se détériorer sérieusement.
Aux sempiternelles litanies sur une soi-disant « baisse de niveau » et aux vieilles querelles entre tenants du laïque, du confessionnel ou du professionnel s’ajoutent désormais la conscience d’une crise ou d’une logique économique ne garantissant même plus du boulot à ceux qui « réussissent » à l’école, et le doute sur la capacité d’une machine dominée par des féodalités et des conservatismes en tout genre à faire face à la situation. Toutes choses fondant un sentiment nouveau : celui de l’incapacité foncière de l’école à instruire le plus grand nombre et à lui offrir par ce biais un passeport pour la réussite sociale.
Mais en a-t-il jamais été autrement ?
Certes, quand la bourgeoisie, pour combattre l’obscurantisme religieux, construire un espace étatique-national et faire tourner ses fabriques, a eu besoin de scolariser un minimum le peuple, on a pu croire un instant que l’on était au début d’un processus. Certes, à l’occasion des « Trente glorieuses » de l’après-Seconde Guerre mondiale, on a pu s’imaginer que la croissance « irrésistible » d’une société urbaine, industrielle, de plein emploi, moderne… allait entraîner une élévation tout aussi irrésistible du niveau d’instruction… Mais hormis pendant ces deux périodes, il n’y a en fait jamais eu matière à se faire des illusions. De tout temps et en tout lieu, l’école capitaliste s’est au contraire constamment attachée à conjuguer la réussite scolaire au seul temps de l’origine sociale. De tout temps et en tout lieu, l’école capitaliste n’a été qu’une école de classes dont la fonction essentielle fut de mettre en condition les enfants des classes laborieuses pour les préparer et les rôder à l’humiliation de leur vie à venir.
De tout temps et en tout lieu…
Est-il besoin de le préciser, si l’école capitaliste s’est en fait bornée à garantir l’ordre social existant, cela ne fut en rien le résultat d’un projet clairement défini et mis en œuvre avec la complicité des enseignants. Tout juste peut-on parler à ce propos de logique des choses. D’une logique culturelle de classe érigeant une culture donnée (la culture bourgeoise) en culture universelle niant d’autres cultures (nationales ou sociales). Et d’une logique institutionnelle de type étatique s’attribuant le quasi monopole de l’éducation.
Quoiqu’il en soit, aujourd’hui comme hier, l’école capitaliste, dans sa version publique ou confessionnelle, est une véritable calamité. C’est une gigantesque usine ne cessant d’enregistrer des différences culturelles et sociales pour les reproduire sous forme d’inégalités scolaires et sociales, de programmer l’échec ou la réussite scolaire au seul tableau noir de l’origine sociale et, ce faisant, de participer à la reproduction de la division sociale. C’est une institution qui, d’une manière systématique, fait passer l’enfance, sa créativité et sa joie de vivre à la moulinette de l’ennui, de l’uniformisation et de la résignation. Et c’est une citadelle d’intérêts, de corporatismes et de pesanteurs absolument irréformable !
Dans ces conditions, pour peu qu’on estime que l’accès aux savoirs et aux cultures doit être possible pour tout le monde, une alternative à l’école capitaliste s’impose.
Créer une école anti-autoritaire à la manière de Summerhill, de certaines écoles parallèles… c’est assurément intéressant car, outre le fait qu’on se fait plaisir en offrant un espace de liberté aux enfants, on fait également la preuve de la valeur et de l’efficacité de certains principes et de certaines méthodes. Mais crée-t-on pour autant une alternative à l’école capitaliste ?
Rien n’est moins sûr !
L’école capitaliste en effet intervient à tous les niveaux (maternelle, primaire, secondaire, supérieure, technique…) de la scolarisation et ce d’une manière cohérente et massive. Aussi, ce qui peut valoir à un niveau donné (généralement le primaire) et à l’échelle de l’infiniment petit ne vaut pas forcément (au niveau formel tout au moins) à tous les niveaux et à grande échelle.
De plus, même si une petite école anti-autoritaire réussissait à se poser en alternative à la globalité de l’école capitaliste, cela ne résoudrait qu’une partie du problème. Car l’école capitaliste n’est qu’un élément d’un ensemble éducatif comprenant également l’espace familial et l’espace social. Et de ce fait, il faudrait être quelque peu naïf ou aveugle pour penser pouvoir libertariser l’école sans libertariser dans le même temps l’espace familial et social. Par exemple, en cassant la propriété privée parentale qui aliène actuellement les enfants. Et en mettant en œuvre les moyens judiciaires et matériels permettant aux enfants de devenir des citoyens à part entière dans la société.
Vaste programme donc, qui pose clairement le problème de l’imbrication étroite entre un changement d’école, un changement social et un changement de société.
Dans ces conditions, dès lors que non content de refaire la preuve de la valeur et de l’efficacité de certains principes et de certaines méthodes, on cherche à dégager une alternative à l’école capitaliste, il semble préférable de s’inscrire dans une perspective qui soit la plus large et la plus globalisante possible. Dans celle notamment d’un mouvement social fédérant toutes celles et tous ceux qui, en paroles et en actes, cherchent à mettre en place une société anti-autoritaire. Et comme nous pensons que le mouvement libertaire est le seul à même de permettre la construction de ce mouvement social, nous préférons parler d’école libertaire plutôt que d’école anti-autoritaire.
A première vue, tout cela peut sembler tiré par les cheveux. Car anti-autoritaire, libertaire, alternative à l’école, alternative sociale… ça a l’air d’être du pareil au même, et on voit mal ce qui concrètement peut séparer une école anti-autoritaire d’une école libertaire, hormis que la seconde se réclame explicitement d’un changement sociale et sociétaire. Hormis !…
Sur quelles bases ? Parce que nous sommes conscients des limites de notre projet (notre école n’opérant qu’au seul niveau du primaire), nous sommes résolus à nouer des relations et si possible, à les institutionnaliser avec d’autres écoles du même type que la nôtre, opérant au même niveau que nous ou à des niveaux différents. Avec d’autres écoles françaises, comme avec d’autres écoles étrangères 2. Ceci dans l’espoir, à travers des échanges d’informations et des confrontations, de parvenir à élaborer collectivement une alternative d’ensemble à l’école capitaliste.
De même, parce que nous nous inscrivons dans une perspective de changement social et sociétaire, nous sommes résolus à nouer des relations et si possible à les institutionnaliser avec d’autres alternatives (économiques, politiques, syndicales, sociales, psychiatriques…) anti-autoritaires ou libertaires à la société capitaliste. C’est dans cet esprit que l’association éducative « Bout d’ficelle », qui est à l’initiative de ce projet d’école libertaire, a ouvert depuis un an un lieu de vie accueillant des jeunes « en difficulté », cet accueil pouvant déboucher à terme, si cela s’avère possible et souhaitable, sur une scolarisation dans notre école.
Comme on le voit, notre démarche est à cent lieues de l’isolationnisme pédagogique ou éducationiste. Elle se place toute entière sous le signe du social et du collectif.
C’est ainsi que les bâtiments qui abriteront notre école constitueront une propriété collective divisée en parts que pourront acquérir tous ceux qui soutiendront notre projet. C’est ainsi également que ces bâtiments qui seront la propriété d’un collectif seront des structures démontables et mobiles, afin, si le besoin s’en fait sentir, qu’ils puissent être utilisés par d’autres membres du collectif ailleurs. Et c’est ainsi enfin, que l’école sera financée par des souscriptions extérieures (ce qui lui permettra d’être gratuite) et qu’elle sera gérée par un congrès semestriel des acteurs (pédagogiques, financiers…) de l’école.
Avec qui ? Notre école, cela va de soi, accueillera des enfants. Vraisemblablement une dizaine au maximum, de 5 à 11 ans. Un certain nombre de ces enfants seront originaires de l’île d’Oléron (des anciens de la crèche parentale pour la plupart). D’autres viendront d’ailleurs et seront hébergés chez les parents ou des membres du réseau.
Interviendront dans le cadre de l’école deux éducateurs (un ou une institutrice et vraisemblablement un objecteur de conscience) qui seront plus particulièrement chargés d’initier et de coordonner les « apprentissages ». Interviendront également des parents et des camarades qui prendront en charge un certain nombre d’activités (bateau, sculpture, peinture, musique, sport, bricolage…).
Où ? Dans un premier temps, l’école sera située dans l’île d’Oléron (Charente Maritime), mais si un jour, parce que la lassitude, l’essoufflement… ou l’émergence d’un nouveau projet et d’une nouvelle équipe, elle pourra sans problème transporter ses locaux (démontables) ailleurs. La propriété collective des locaux permet cela.
Comment ? Notre école (qui opérera au niveau du primaire) fonctionnera sur la base d’une classe unique rassemblant différents groupes d’âges (les 3-4 ans, les 6-7 ans et les 8-9-10 ans) correspondant à des cycles d’apprentissages. Dans le cadre de ces cycles d’apprentissages, le « travail scolaire » qui comportera un certain nombre de « cours magistraux » sera avant tout un support à des projets qui seront élaborés avec les enfants. Ces projets pourront être de tout ordre. Les activités qui seront proposées aux enfants l’après-midi formeront vraisemblablement le terrain principal sur lequel naîtront et se développeront ces projets. Si nous réussissons à nous fédérer à d’autres écoles et à d’autre alternatives, les voyages et les échanges qui en résulteront fourniront également matière à de nombreux projets.
Dans tous les cas de figure, nous ferons tout pour que ce soit l’enfant qui aille à la connaissance sur la base de son propre désir. Son cheminement étant accompagné par les éducateurs, les autres enfants… sur la base d’un projet.
Dans le cadre des apprentissages fondamentaux (lire, écrire, compter), nous incluons bien évidemment l’apprentissage de l’autogestion, via notamment la « participation » à la gestion institutionnelle, économique, pédagogique… de l’école.
Une fois par semaine, aura lieu une assemblée générale rassemblant enfants et adultes au cours de laquelle sera effectué un bilan de la semaine passée et élaboré des perspectives pour la semaine à venir.
Nous souhaiterions que ce regard des acteurs de l’école sur eux-mêmes se complète de temps à autre par un regard extérieur de sociologues, de psychologues… sympathisants du projet sans en être directement partie prenante. Ces personnes auraient pour tâche d’analyser notre réalité et notre fonctionnement et de nous faire part de leurs analyses. Nous serions bien évidemment libres de nous rallier ou non à ces analyses qui présenteraient néanmoins l’avantage de nous montrer comment nous serons perçus de l’extérieur.
Dans le même ordre d’idée, un congrès semestriel rassemblant tous ceux et toutes celles qui seront, à un degré ou à un autre, partie prenante du projet, devrait pouvoir nous permettre d’éviter le piège de l’isolement et du narcissisme.
Voilà ! 50 000 choses restent encore à dire à propos de cette école, mais… Mais comme nous espérons pouvoir les dire avec vous, nous vous disons à bientôt !



1. « L’île aux enfants », plusieurs article ont été consacrés à cette crèche dans le Monde libertaire.
2. Nous sommes actuellement en contact avec une communauté agricole libertaire d’Andalousie qui a un projet d’école assez proche du nôtre.



COMMENTAIRES ARCHIVÉS


Antonio50

le 25 octobre 2013
Chers amis,instituteur retraité acquis au communisme libertaire,sachez que je suis très favorable à ce projet à Oléron. Au lieu de "refiler" 30 millions d'euros à l'armée, Hollande serait mieux inspiré de créer en France,les conditions de l'égalité et de la réussite scolaire de tous.Bien fraternellement Maurice Morineau 50 ST-LO