Yuka

mis en ligne le 20 janvier 2011
Yuka, en quechua, ça veut dire « eau ». L’eau, c’est le sujet central de Même la pluie (titre original : También la lluvia), cinquième film réalisé par Iciar Bollain, que l’on a aussi connu comme actrice (second rôle féminin dans Land and Freedom). Elle s’est d’ailleurs appuyée sur un scénario de son compagnon Paul Laverty, qui se trouve être le scénariste attitré de Ken Loach. Comme on peut s’en douter, la lutte des classes est à l’ordre du jour.
En résumé, une équipe cinématographique espagnole vient tourner un film en Bolivie (à Cochabamba), retraçant l’arrivée des conquistadors en Amérique. On assiste donc au film, et au film du film, où l’on voit évoluer des centaines de figurants indigènes (réalisme et financement à moindre coût obligent). Par ailleurs, ces figurants sont confrontés dans leur « vraie vie » à une forte augmentation du prix de l’eau (+ 300 %, excusez du peu !), augmentation provoquée par la privatisation du réseau de distribution, suite à un accord entre l’État et une multinationale nord-américaine : Bechtel. D’où protestations, émeutes et révolte des habitants/figurants contre les autorités.
Trois films pour le prix d’un, ça ne se refuse pas. Nous sommes entraînés dans des allers-retours sur cinq siècles, qui nous permettent de constater que depuis 1492 peu de choses ont vraiment changé : les Indiens, quand ils ne sont pas massacrés, sont copieusement exploités. Même l’eau de pluie (d’où le titre du film) récupérée dans des puits par la population doit passer sous contrôle d’entreprises privées (ici Bechtel), ce qui déclenche une guerre de l’eau. (Guerre qui, depuis, est en train de gagner tout le continent latino-américain, notamment le Pérou et le Mexique.)
Tout y est : pour la partie historique, le massacre des Indiens, leur mise en esclavage ; pour la partie actuelle, leur exploitation, la mondialisation, la lutte des femmes en appui à celle des hommes etc.
On assiste au fil des événements aux changements de comportements des personnages : les acteurs interprétant Christophe Colomb et le prêtre Bartolomé de las Casas déclament des textes enthousiasmants, voire grandiloquents, mais sitôt le moteur coupé, tiennent des propos blasés ou apeurés devant les combats de rue. Sebastián, le réalisateur (interprété par Gael García Bernal, toujours aussi beau gosse), ne pense qu’à finir son film et oublie peu à peu ses bons sentiments du début. Costa (interprété par Luis Tosar) fait lui le chemin inverse, et abandonne son cynisme originel pour aider la famille de Daniel, principal figurant indigène de son film. Daniel, lui, ne change pas : candidat figurant, il dit non ; acteur principal, il dit encore non ; leader de la révolte, il dit toujours non. Et quand il fait le bilan des luttes, il constate simplement que la victoire se paie au prix fort.
Bref, vous l’avez deviné, il s’agit d’un film à aller voir toutes affaires cessantes, d’autant plus que la guerre de l’eau s’étend sous diverses formes (Afrique, Amérique latine, sud des États-Unis, et ne nous faisons pas d’illusions, elle est également commencée chez nous), et que, comme le dit un des protagonistes révoltés du film, c’est la dernière étape avant la privatisation de l’air que nous respirons.
Une lueur d’espoir malgré tout : les émeutes évoquées ont eu lieu à Cochabamba en 2000, et ont provoqué le recul des autorités et de la multinationale Bechtel qui a dû quitter la Bolivie avec armes et bagages, et ça, c’est pas du cinéma.