Grève à Presstalis

mis en ligne le 13 janvier 2011
Pourquoi n’avez-vous pas trouvé votre Monde libertaire dans les kiosques dernièrement ? C’est simple, parce que les employés de Presstalis (anciennement NMPP) étaient en grève illimitée. Pas reconductible ou avec un préavis. Non, jusqu’à obtention d’un accord.
Je vais essayer de vous expliquer les arcanes de la distribution des journaux et revues, qu’en argot professionnel on appelle le « papier ». Les grévistes sont les commis qui durant la nuit trient la presse, acheminée par camions depuis les imprimeries jusqu’aux trois dépôts parisiens. Immenses navettes où les employés comptent, ficellent et mettent en case les paquets destinés à chaque diffuseur parisien.
Presstalis ayant subi une perte de 24 millions d’euros, décide donc de supprimer la masse salariale, considérant que les commis sont trop payés, une antienne bien connue du capital, et de donner le boulot à Géodis, une messagerie privée qui paye ses employés au Smic, ne conservant que le traitement des quotidiens, « bâton merdeux » et déficitaire de la distribution. Ce qui est incroyable c’est que Presstaliss est normalement une coopérative d’éditeurs qui doit redistribuer des bénéfices, mais qui avait l’habitude que l’état ou Lagardère (Hachette) la renfloue chaque année. Cette fois, l’État a dit non, se disant en faillite (sic !), quant à Lagardère il ne veut plus miser sur le support écrit, il a déjà mis en vente ses filiales prestigieuses à l’étranger (tous ses magazines de déco et de mode.)
Les commis, syndiqués CGT de la branche du Livre, sont donc passés à l’action, bloquant le papier dans les dépôts ; au début, les publications, puis voyant que personne ne parlait de cette grève oubliée, empêchant aussi les quotidiens d’être distribués.
Donc, récapitulons, ce ne sont pas les imprimeries, ni les porteurs qui faisaient grève, mais ces employés de nuit de Presstalis qui, voyant que leur employeur essayait de mettre en place des plateformes de secours, passèrent à l’action directe, les attaquèrent. Et, pour la première fois, Presstalis appela la police.
Trois grévistes furent mis en garde à vue. Le blocage des quotidiens les fit sortir aussitôt ! Durant ce conflit, on a vu émerger l’apparition de Mediakiosk (ancienne AAP), qui est un organisme fabriquant les kiosques à journaux et vivant de la publicité affichée dessus. Depuis plusieurs années, la Ville de Paris leur a octroyé une délégation de service public (contre l’avis des syndicats de kiosquiers parisiens – édicules en surface).
Mediakiosk a aidé Presstalis à distribuer le papier, agissant en « jaune », et on a pu s’étonner de voir des électriciens porter les journaux. Mediakiosk est une filiale de Hachette, comme Presstalis, qui avait auparavant le monopole de la distribution mais l’avait perdu en 1945 puisque frappée d’indignité nationale pour collaboration étroite avec la propagande nazie.
De cet esprit de la Résistance était née en 1947 la fameuse loi Bichet, obligeant les gros groupes de presse à payer pour la diffusion des petits titres, en particulier à teneur politique ; dont Le Monde libertaire fait partie.
Cette loi Bichet est de plus en plus contournée actuellement, et les petits titres d’expression libre sont tous menacés à court terme. Le support écrit va-t-il pousser son chant du cygne ?
Au bout de trois semaines de conflit, un accord a finalement été signé entre les ouvriers du Livre et Presstalis. Pas de licenciements. Sur 170 employés, 110 continuent de travailler, les autres, plus âgés (nés en 1956 et avant), partent en préretraite. C’est une sorte de plan social que Sarkozy avait interdit, mais lorsque les pressions sont déterminées, le pouvoir recule parfois. Mais attention, c’est, à mon avis, une victoire à la Pyrrhus…
Deux des trois centres sont fermés, une grande partie du traitement des publications part pour la sous-traitance. En cas de nouveau conflit, les commis seront beaucoup moins nombreux et bloqueront moins de titres !
En outre, pour la pléthore de cadres (170), rien n’a été signé et ils se réservent le droit de reprendre une grève… Presstalis ressemble d’ailleurs à une armée sud-américaine où les généraux sont aussi nombreux que les soldats, et ça à la suite de la mécanisation à outrance. Au final, leur sort est déjà réglé… De nouveaux blocages sont donc à prévoir. La grève fut combative, mais sa popularisation très mal orchestrée, le conflit étant resté très corporatiste et ayant la volonté de laver son linge sale en famille.
Le profane de la rue voulant acheter son journal ne comprend jamais pourquoi il ne le trouve pas ! Lorsque j’ai proposé par téléphone aux commis CGT de s’exprimer sur les ondes de Radio libertaire, ils m’ont d’abord demandé si c’était une « radio gay » (et pourquoi pas d’ailleurs ?) puis, après un grand silence, m’ont dit qu’ils en référeraient à leur responsable !
J’ai dû leur rappeler que les anarchistes avaient fondé la CGT au siècle dernier et que des tendances anarcho-syndicalistes y subsistaient toujours. En vain !
Un petit mot maintenant sur les kiosquiers (360 sur Paris), pris entre le marteau et l’enclume ! Déjà à l’agonie depuis quelques années à cause de l’effondrement des ventes des titres, torpillés par Internet, les abonnements, les journaux gratuits et la baisse du pouvoir d’achat puisqu’ils sont rétribués à la commission (22 %) et sont travailleurs indépendants. Par tous les temps, ils réceptionnent la presse, la disposent et la vendent. Dernier maillon essentiel de la chaîne, ils ont toujours été les parents pauvres de la profession. Pourtant, en 2005, ils avaient baissé le rideau durant une semaine, bloqué les dépôts, manifesté et réussi à faire augmenter leur commission. Les kiosquiers sont administrés par Mediakiosk qui leur distribuent des aumônes sous forme d’aide financière pour les plus petits (150 environ).
Les syndicats de kiosquiers ont tout de même envoyé une lettre de soutien aux grévistes en demandant à Presstalis de conserver son système actuel de distribution. Les gros éditeurs et leurs messageries, comme d’habitude, divisent pour régner et imposent une multitude de statuts aux différents travailleurs de la presse, essayant de créer une opposition entre eux.
Alors, lecteur du Monde libertaire, lorsque tu achèteras ton canard, jette un œil compatissant au « dernier mohican » du pavé parisien, ces rebelles du bitume, ces forains du papier, si tu as du mal à trouver ton titre, engueule-le gentiment et demande lui de le mettre en service et achète-le lui chaque semaine !
Salut et fraternité.



COMMENTAIRES ARCHIVÉS


kaukabi

le 24 septembre 2012
Ce qui me choque le plus c que tu oublie le bataillon de chauffeurs de presse qui travaillent au noir toutes les nuits pour Presstalis au départ du dépot de Bobigny.
Géodis Bonneuil c pire encore sans papiers et travail au black avec véhicule sans assurance.

kaukabi

le 24 septembre 2012
Tous les dépots de presse emploient des transporteurs roulant en dessous du prix de revient,c tel prix tu prend ou tu te casse.
Après il ne faut pas s'étonner que la plupart des chauffeurs sont déclarés 2h00 et travaille 6 à 8h00 par jour au mieux et le reste c du black et tout le monde le sait et personne ne dit rien ni ne bouge.

kaukabi

le 24 septembre 2012
Nous représentant des chauffeurs de presse assurons de notre total soutien les camarades en grève de presstalis qui voient leur travail partir chez la précarité de Géodis qui écrase ses sous traitants avec la complicité des pouvoirs publics qui ferment les yeux sur le travail au noir de nuit.