Tous unis pour le nucléaire ?

mis en ligne le 8 mai 1986
Comme toujours, l’information dispose d’un pouvoir politique ; c’est précisément pour cette raison que le pouvoir politique met le plus possible l’information à sa disposition… Ainsi, l’État trompe son monde en ne divulguant que ce qui l’arrange et de la manière qui le présente sous le meilleur jour, il dupe aujourd’hui en U.R.S.S. en parlant de précautions, de surveillance de l’environnement, d’assistance médicale et de mesure de sécurité quand la réalité est catastrophique.

Radioactivité et langue de bois
Qu’un accident grave advienne dans une centrale nucléaire et les informations dispensées se prêtent alors à nombre de spéculations, de la quasi-apocalypse à la propagande du genre « chez nous, ça ne peut pas arriver » 1. Quoiqu’il en soit, malgré les scabreuses batailles sur le nombre des victimes menées par Tass, le danger est également perçu par tous et il est remarquable que même si le nombre de morts n’est pas deux mais deux cent cinquante ou trois cents, on a rarement vu autant de réactions de par le monde à un accident de type catastrophe industrielle qui ne soient pas simplement des condoléances polies mais davantage des interrogations.
C’est très simple : le danger est là, présent, sous la forme d’un « nuage » et dont les conséquences directes ne font, elles, l’objet d’aucune spéculation parmi les médias hormis le sens du vent. En effet, il y a de la radioactivité dans l’air et ce dans des proportions dangereuses. On nous a beaucoup parlé de ce nuage mais on a moins parlé du plus grand danger (qui, il est vrai, est immobilisé loin de nous…) qui se trouve dans les vingt ou trente kilomètres aux alentours de Tchernobyl, dont on sait qu’une évacuation a été organisée – ce qui signifie bien la gravité de l’accident –, mais dont on ne sait rien de plus. Si les victimes de l’accident ne sont aujourd’hui que celles qui travaillaient alors dans la centrale, combien seront-elles demain ?
Il faut bien dire qu’immédiatement après l’accident de Three Mile Island, les informations étaient rares et que si elles le sont aujourd’hui en U.R.S.S., ce n’est pas seulement du fait d’une habitude locale de la langue de bois mais bien parce qu’un accident grave (fonte du réacteur) est effectivement dangereux et que s’il pourrait y avoir quelques mouvements de panique, il pourrait aussi y avoir un certain développement de la reconnaissance du scandale, de la dénonciations des apprentis sorciers qui jouent avec la vie des populations…
Il est important de remarquer ici la solidarité des États nucléaires. L’U.R.S.S. a sollicité l’aide de la Suède et de la R.F.A., mais d’autres pays ont proposé la leur – la France, les États-Unis – et il ne faut pas y voir seulement une simple solidarité désintéressée devant la catastrophe mais aussi l’intérêt pour ces pays d’acquérir là une expérience qui risque toujours de resservir. Est-ce rassurant ?

Et en France ?
Jusqu’à présent, effectivement, les mesures de sécurité se sont toujours montrées efficaces, au point même que les centrales sont assez souvent arrêtes pour incident, ce qui ne pose d’ailleurs aucun problème de production, vu leur surnombre.
On se souvient pourtant, à l’automne 1979, d’une certaine « affaire des fissures » à Gravelines et au Tricastin, deux centrales alors mises en route. Mais les fissures n’ont effectivement pas empêché les centrales de fonctionner correctement par la suite, et l’on ne va pas comparer avec d’autres fissures qui n’ont pas empêché la navette spatiale de parfaitement bien voler à plusieurs reprises, en toute sécurité…
Bien sûr dès l’accident de Tchernobyl, nos chers médias nous ont rassurés en nous disant que les centrales françaises sont d’un autre type et sont beaucoup plus sophistiquées. À vrai dire, les centrales françaises sont du même type que celle de Three Mile Island ; mais après tout cet accident là, pour autant qu’on le sache, n’a pas fait de victimes.
C’est toujours la question de l’information qui est centrale et l’importance de l’enjeu avait bien été révélée quand le mouvement antinucléaire en France avait exigé de E.D.F. de tout dire, étant bien évident que ce qui est caché ne l’est pas innocemment. E.D.F., c’est l’État, et nous savons bien que le danger avec le Pouvoir est qu’en guise d’information il mente, mais nous ne sommes pas si nombreux à le savoir et nous devons donc l’y contraindre afin de répéter suffisamment la démonstration du danger pour que nous soyons assez nombreux pour pouvoir en finir avec les risques inutiles et les gaspillages.

Faut-il être contre le nucléaire ?
Le mouvement antinucléaire en France est tombé en désuétude faute, peut-être, de n’avoir pas eu un accident suffisamment grave pour émouvoir les populations apathiques mais peut-être aussi faute d’avoir été trop « primaire ».
Les anarchistes ont toujours participé aux luttes antinucléaires, non seulement en raison des dangers intrinsèques à ce type de production, mais aussi pour d’autres raisons non moins importantes. En fait les centrales thermiques, au fuel ou au charbon 2 ne sont pas particulièrement propres et les barrages hydrauliques ne nous paraissent pas forcément beaux.
Surtout, ce type de production coûte cher en énergie – ce qui est absurde – et puis, pour des raisons techniques il doit obligatoirement être centralisé or la distribution de l’électricité ne peut se faire sans un gaspillage qu’on peut estimer aux trois quarts de la production du fait des pertes en ligne. Il faut dire aussi que, si la consommation d’électricité double tous les dix ans depuis quarante ans, c’est pour beaucoup dû à la production de biens conçus pour durer assez peu de temps afin de forcer la consommation et de créer des profits. En fait le mode de production de l’énergie participe pleinement du mode de gestion, capitaliste, de la société. En ce sens, la production d’énergie solaire ne présenterait-elle aucun danger en soi que nous y serions tout aussi opposés. N’oublions pas, en cette époque de psychose 3, que les sites nucléaires font l’objet d’une surveillance policière particulière de la population locale.
Continuer de dénoncer tous les dangers avant d’en faire les frais reste notre premier devoir. Pour éviter effectivement d’en faire les frais, ce travail de propagande doit être inlassable, convaincre, et propager aussi une alternative de productions décentralisées, non polluantes, non dangereuses, et même quasi gratuites puisque cela est possible.

Groupe Paris XVe


1. Sans compter les spéculations aux États-Unis sur le prix du blé compte tenu des retombées radioactives dans les plaines de l’Ukraine.
2. Défendues par le Parti communiste pour préserver des emplois parmi ses secteurs dans le Nord.
3. Le terrorisme engendre peut-être une psychose : il est sûr que cette psychose collective est terrorisante.