Civil ou militaire… Sortir du nucléaire

mis en ligne le 16 décembre 1993
La France est le pays le plus nucléarisé par tête de pipe, le seul pays à poursuivre, tête baissée, dans la voie de l’électricité nucléaire, hurlant contre tous ceux qui doutent, contre toute question, contre toute critique dès qu’on touche à ce qui est clairement une religion : le nucléaire.
Récemment, après le long métrage documentaire du cinéaste Michel Daéron, diffusé par ARTE, « Moruoa, le grand secret », sur les essais français, les militaires ont exigé un débat, différé, et Léotard a été scandalisé par le fait qu’on puisse parler des essais « de cette manière », c’est-à-dire en se demandant si, réellement, c’est aussi inoffensif qu’on le dit.
Dans les autres pays, le nucléaire est un sujet comme les autres, mais en France, après de longues années d’abstinence, si les médias abordent le nucléaire sous sa forme délétère ce n’est que pour mieux stigmatiser la qualité médiocre des centrales de l’Est et pleurer sur les « enfants de Tchernobyl ». Les enfants de là-bas, s’entend ; car les enfants mal formés, les leucémiques et les cancéreux français que les pluies radioactives ont inévitablement engendrés sont d’autant plus facilement oubliés que la loi des statistiques aide à les dissimuler au milieu d’autres malformations, d’autres leucémies et cancers dus à d’autres raisons.
Les médias parlent du nucléaire comme si rien de négatif ne concernait le nucléaire français. Pourquoi les journalistes ne font-ils pas leur boulot ? Ils ne diffusent que les communiqués officiels du CEA et d’EDF ; ils ne se demandent jamais : « Et chez nous ? » ; ils ne font pas intervenir d’opinions différentes ? Ce serait le minimum. L’une des raisons, pas la seule mais pudiquement éludée, c’est que les médias vivent de publicité. Non seulement celle d’EDF et de la COGEMA mais des publicités institutionnelles (provenant du gouvernement), et c’est donc au plus haut niveau, celui du gouvernement, que se fait la censure. Qui n’a pas ce nom et qu’évidemment personne ne reconnaîtra comme telle.
Le gouvernement a promis, pour 1994, un débat sur l’énergie nucléaire. Quel débat ? Sous quelle forme ? Qui aura le droit de parler ? Donnera-t-on l’équivalent en temps et en espace, par rapport aux millions dépensés en publicités vantant les mines d’uranium et la perceuse nucléaire, à ceux qui ne vivent pas du nucléaire ? Qu’est-ce qui est exactement en question ? Comment décidera-t-on, en fin de compte, de ce qu’il faut faire ? Fera-t-on un référendum ? Quelles seront les tournures des questions ?
Evidemment, les dés sont pipés. Après Tchernobyl, on a parlé du « silence des écolos, ce qui prouvait qu’ils étaient vendus à l’Est ». Il fallait voir comment les élites journalistiques ont reçu des susdits écolos quand ils ont fait parvenir leurs informations et leurs réflexions (de bon sens) sur l’impossibilité pour le nuage radio-actif de s’être arrêté à la frontière. Les médias ont parfaitement reproduit les données comme les leur donnaient à gober le CEA, EDF et le Service central de protection contre les rayonnements ionisants (SCPRI), dont le directeur est le professeur Pellerin. Certes, ils ont battu leur coulpe quelques jours plus tard en annonçant que le nuage était bien passé sur la France. Mais ils n’ont jamais annoncé que les écolos les avaient informés comme des paranos, ils les avaient dévalorisés au yeux du public…
Parce qu’on nous cache que la pollution en fonctionnement normal des centrale nucléaires tue discrètement et à petit feu, parce qu’on nous cache que l’accident nucléaire est catastrophique, parce que le prix annoncé de l’électricité nucléaire est biaisé, parce que la sécurité indispensable à l’industrie nucléaire avant et après l’accident est fondamentalement « adémocratique », il faut arrêter.
Ce fameux débat, le premier petit pas depuis le début de l’électronucléarisation massive, il y a vingt ans, est l’occasion de questionner les conseillers régionaux, les députés, les maires et autres représentants. Non seulement les obliger à parler et éviter à tout prix qu’ils se défilent, mais montrer qu’il existe des questions sans réponse, qu’il existe d’autres opinions. Ils sont pour ? Qu’ils le disent clairement et à haute voix. Après avoir été informés de la véritable situation (voir nota bene). Chacun peut, à son niveau, interpeller et faire savoir, par les associations ou les journaux locaux qu’il y a des points d’interrogation et que le nucléaire n’est pas une fatalité, ni l’expression de la modernité. Il est important d’organiser des minis débats informatifs, en puisant ses renseignements auprès des rares journaux et associations qui en diffusent.
À ceux qui nous parlent de gros sous, de rayonnement national, et nous donnent à choisir entre le nucléaire et la bougie, parlons-leur des rayonnements dus à l’accident majeur et demandons-leur : « Le jeu n’en vaut-il pas la chandelle ? »

Perline


N.B. : À lire absolument : Une urgence : sortir du nucléaire, de Bella et Roger Belbéoch (supplément à la Lettre d’information n°59 du comité Stop-Nogent (Nature et Progrès, 14 rue des Goncourt, 75011 Paris).
C’est un résumé de la situation historique, politique, économique et de danger. Tous les points de vue y son abordés, et ces huit pages d’argumentaire sont parfaites comme base de travail personnel et pour diffusion. Prix : 15 F