Le sens de l’humour

mis en ligne le 1 décembre 1977
Le mardi 22 septembre, le quotidien Libération publiait, dans son intégralité, un « communiqué » dans lequel la Fédération anarchiste se solidarisait avec la R.A.F., plus connue sous le nom de « bande à Baader ». Bien entendu, ce « communiqué » relevait de la pure fantaisie. À la suite des événements survenus en Allemagne fédérale, la Fédération anarchiste avait, au-travers d'un communiqué non repris par la presse, y compris Libération, affirmé clairement sa position au sujet de la RAF, de ses méthodes et de son idéologie (cf. ML n° 240).
Libération, outre nos communiqués, reçoit régulièrement notre journal où ces positions ont été nettement réaffirmées (cf. ML n° 237-240-241). Malgré cela, ce quotidien se faisait étonnamment le tremplin de petites crapules en publiant, sans vérification aucune, le fameux « communiqué ».
Voulant réparer cette « bavure », nous faisions parvenir le jour même, un communiqué-démenti, en bonne et due forme celui-là, qui, hélas, ne devait pas connaître la même fortune que le faux reçu la veille. Le mercredi 23 novembre en effet, le quotidien Libération reprenait deux phrases du communiqué, qui passaient totalement inaperçues en fin d'article. Curieuse règle que celle qui consiste à n'accorder à un démenti qu'une importance médiocre quand, la veille, on s'est fait colporteur de ragots.
Mieux encore, à Libération, prévenu de notre mécontentement par téléphone, on trouve notre comportement « mesquin ». De surprise en surprise, on apprend que ce quotidien est « plein de bonne volonté » à notre égard et qu'en fin de compte, nous n'avons pas « le sens de l'humour ».
Un petit retour en arrière paraît ici nécessaire pour examiner ces occasions où, bonne volonté et humour mêlés, Libération se penchait sur la Fédération anarchiste. Il ne s'agit pas bien sûr d'établir ici la liste des communiqués envoyés à ce journal, qui ont fini sous cette forme qui fait le bonheur des corbeilles à papier. Pour s'en tenir à un passé relativement proche, on se rappelle le compte-rendu publié par Libération sur la manifestation du 8 novembre 1976 contre la peine de mort où l'auteur de l'article avait réussi à ne pas nous remarquer quand nous regroupions les deux tiers des manifestants. De nombreux lecteurs indignés, qui n'avaient pas saisi alors tout l'humour contenu dans cet oubli, avaient d'ailleurs protesté auprès du quotidien.
Plus tard, ce fut la manifestation du Premier Mai dernier dont l'annonce alla rejoindre nos communiqués. Au lieu de ça, Libération, toujours avec cet esprit qui nous fait tant défaut, appelait les fumeurs de joints au lieu et heure identique à notre appel. Quant au déroulement de la manifestation elle-même, vous allez rire… mais Libération n'en dira pas un mot, et avec quel humour !
Quant à la parution hebdomadaire du Monde libertaire, c'est dans les petites annonces qu'il fallait chercher la nouvelle. Heureusement, il y a beaucoup de lecteurs qui cherchent à se loger et c'est d'ailleurs là que toute la finesse de l'opération apparaît.
Il y a peu de temps enfin, la Fédération anarchiste tenait son congrès extraordinaire. Une nouvelle fois, ni l'annonce de ce congrès ni le résumé de ses débats ne paraîtront dans Libération. Certes, il y avait là une note humoristique indiscutable qui gardait cependant un goût inachevé que Libération balayait une semaine plus tard en rendant compte, sur un quart de page, du congrès de la CFTC. Si beaucoup parmi nous trouvaient la chose un peu amère, le rire n'en secoue pas moins encore certains de nos camarades, ceux qui ont ce « sens de l'humour » cher à Libération.
Il paraît que les plaisanteries les plus courtes sont les meilleures…voilà maintenant plus de quatre ans que Libération est né.

P.S : Au lendemain de « l'occupation » des locaux du journal Libération, un de nos camarades se rendait au siège du quotidien. Reçu par Zina Rouabbah, directrice de la publication, il lui fut annoncé que cette « occupation » faisait perdre près de quatre millions au journal. Cela dit sans la moindre gaieté. L'humour, ça va, ça vient...


Julien Robin