Dominique Lestrat, toujours en grève de la faim

mis en ligne le 21 juin 1984
Un licenciement illégal et abusif !
En effet, licenciement pour le moins illégal quant à la procédure suivie par le Chef d’établissement (non communication du dossier à l’intéressé, etc.), et pour le moins abusif quant aux motifs : ceux-ci feraient d’ailleurs sourire, s’il n’était question de dignité et du droit au travail d’un travailleur. Qu’on en juge : tout d’abord, « abandon de poste » ; or cette absence (d’une seule matinée !) est couverte par un certificat médical en bonne et due forme, mais certificat médical que ne reconnaît pas le directeur (ce qui bien sûr n’est nullement dans ses attributions de se substituer aux compétences médicales) !
Second motif : « mensonge en service » ; Dominique a, en fait, refusé de répondre à certaines questions concernant sa vie privée.
Enfin, « incorrections répétées envers le directeur et l’attaché de direction » ; l’explication ? Dominique a la « fâcheuse » habitude – et détestable pour certains - d’utiliser le tutoiement (ce qui, chacun s’accorde à le reconnaître, n’est en rien injurieux dans sa bouche), voilà qui n’est guère supportable pour un « supérieur hiérarchique ».
Je vous livre ce morceau d’anthologie : « …) J’ai l’honneur de vous faire parvenir ci-joint un petit document qui vous permettra de compléter votre culture générale, certainement déjà très étendue. Il est un fait que certaines langues (notamment l’arabe) le vouvoiement n’existe pas, mais jusqu’à nouvel ordre, la langue utilisée dans l’administration est le français (…) » ; suivent deux extraits du dictionnaire Quillet :
« Tutoyer : user familièrement des mots « tu » et « toi » ; Familier : ce qui concerne la famille, ce qui se dit ou se fait sans gêne, sans façon comme en famille ; ; irrespectueux, qui manque de déférence. » Tout ceci extrait d’une lettre du directeur, envoyée à Dominique le 30 novembre 1983. Ajoutons que les compétences de notre compagnon sont reconnues de tous – et même du directeur !
On le voit, ces prétextes cachent bien sûr de vraies raisons. En fait, Dominique a le gros défaut d’être un militant syndicaliste et libertaire qui s’oppose à l’autoritarisme aveugle de la direction de l’hôpital. Mais un petit retour en arrière s’impose.

L’ancienne administration
Jusqu’en 1983, le directeur du C.H.S. (second hôpital psychiatrique de France, environ 900 malades et 1 000 employés) fut P. Chatel. Pendant 32 ans, cet administrateur civil « a régné » sur l’hôpital comme sur les 2 000 habitants de Prémontré (dont il est le maire) qui étaient presque tous ses employés.
Gestion particulière : les routes et une partie de la commune étaient entretenues aux frais de l’hôpital, c’est-à-dire aux frais de la Sécurité sociale. Le directeur faisait payer son électricité, son fuel, les réparations de sa maison et l’entretien de son jardin par l’hôpital. Sa table était considérée « comme une des bonnes tables de la région » (mets bien souvent prélevés sur la ration des malades !) ; sur les terrains qui entourent l’hôpital était installée une chasse à courre ; etc.
Devant ses abus, Dominique sera alors au milieu de ceux qui, avec courage, réclameront une inspection. Après enquête des ministères de la Santé et de l’Intérieur, Paul Chatel sera, selon la formule consacrée, « admis à faire valoir ses droits à la retraite ».
Un nouveau directeur sera alors chargé de « remettre de l’ordre ».

La nouvelle direction
Chacun attendait donc de ce nouveau directeur un assainissement sur les plans financiers et administratifs. Or s’il s’est octroyé, tout comme ses prédécesseurs, divers avantages matériels (étang, par exemple), sa véritable lutte fut en fait menée contre le personnel du C.H.S. et ses conditions de travail (suppression des formations), et bien sûr, par voie de conséquence, contre les usagers eux-mêmes (réduction des loisirs des adolescents entre autres).
Ce nouveau directeur, ancien militaire de carrière (vous avez certainement ici un parfait exemple de ce que pourrait donner l’application du protocole Hernu-Savary !) a, semble-t-il, retenu de son passé tous les moyens d’imposer le plus autoritairement sa nouvelle politique : avertissements, blâmes, etc. Et quand on saura que l’ancienne administration (directeur excepté) est restée bien en place, que c’est même elle qui oriente les foudres de notre ancien colonel, on comprendra aisément que les premiers touchés par ces mesures répressives soient les militants syndicalistes ou plus simplement tous ceux susceptibles de ne pas accepter cette gestion de terreur.
Passons rapidement sur les manipulations de la nouvelle direction pour assimiler ceux qui refusent ses pratiques à des partisans de l’ancien directeur (et de ses abus…), quand ce sont justement ces mêmes personnes qui, en réclamant une inspection, ont permis la fin de ce scandale. Mais ce procédé est à l’image de l’ensemble de la gestion mise en place : odieux !
De plus, Dominique travaille dans ce service du C.H.S. ; et celui-ci, de par son fonctionnement collectif, de par sa volonté de ne plus être un asile mais un véritable centre de soin (trois projets d’hôpital de jour étaient sur le point d’aboutir), a subi de plein fouet cette politique de répression systématique (on peut même parler d’acharnement). Le but est simple : casser le service (mutations de personnel, changement d’horaires, etc.), le mettre dans l’impossibilité de remplir sa tâche de prise en charge !

Pour Dominique, les ennuis vont se multiplier
À la suite d’une intervention intempestive du directeur dans une réunion thérapeutique, Dominique tient à prendre la parole pour exprimer son désaccord sur cette façon si peu courtoise d’interrompre une réunion ainsi que sur l’autoritarisme dont le directeur fait preuve à l’égard d’agents présents (menaces de licenciement d’un psychologue) ; l’ayant fait en le tutoyant, il reçoit la lettre citée plus haut.
Janvier 84, Dominique reçoit ses deux premiers blâmes ; il a fait circuler une pétition à l’intérieur de l’hôpital. La raison ? Notre directeur a accordé, avec beaucoup de légèreté, une autorisation à FR3-Lille pour tourner un film de fiction à l’hôpital même. Le scénario ? « Enlèvement d’une fillette par un malade mental » !
Ce projet était bien sûr incompatible avec la mission même du C.H.S. ; il ne respectait ni l’hospitalisé ni son lieu de soins, il reprenait à son compte l’association : « malade mentale = dangerosité », association préjudiciable aux malades et à l’établissement lui-même (cela particulièrement à l’heure où des projets d’hôpital de jour semblaient sur le point d’aboutir !).
Les réaction d’indignation furent nombreuses et quasi unanimes (parents, personnel, syndicats). Le 29 janvier, la Préfecture donnait même gain de cause au mouvement. Le film ne sera pas tourné. Le directeur, désavoué, ne retirera pas pour autant ses blâmes ; cela malgré de nombreuses protestations, une lettre individuelle envoyée par 100 personnes, où elles reconnaissaient avoir participé à l’élaboration du texte de la pétition et avoir délégué plusieurs personnes (dont Dominique) pour la présenter à la faire signer dans les différents services de l’hôpital, tout en ayant eu soin que la prise en charge des enfants soit assurée. Toutes ces démarches resteront vaines.

Ne pas assister sans réagir
Devant cette montée de l’autoritarisme, notre compagnon s’investira dans la création d’un syndicat au niveau du C.H.S. Il déclare : « (…) Il m’était difficile d’assister sans réagir à l’anéantissement d’un travail débuté il y a 14 ans, et qui portait ses fruits ». Dès la première distribution de tracts, il sera menacé de licenciement devant cinq responsables syndicaux. Il se verra ensuite refuser plusieurs journées de formation syndicales auxquelles il avait parfaitement droit.
Cette politique d’intimidation sera d’ailleurs condamnée par plus d’une centaine d’employés qui se mettront en grève le 3 mai ; c’était la première grève véritable de l’établissement !
Restait un dernier obstacle : Dominique, statutairement éducateur-stagiaire, bénéficiait des mêmes garanties qu’un agent titulaire. Le directeur, sans aucunement consulter les Comités techniques paritaires, (C.T.P.), jugera plus pratique de rétrograder Dominique au grade d’auxiliaire (prétextant une interruption de sa formation). Sa rémunération s’en trouvait dépréciée et, surtout, il perdait sa garantie d’emploi ! La suite, vous la connaissez : licenciement le 24 avril ; Dominique débute donc sa grève de la faim le 22 mai.

Un travail de 14 ans anéanti !
Ce dossier est si « léger » que Dominique obtiendrait très certainement sa réintégration devant le tribunal administratif (où un recours a été déposé), mais ces recours peuvent prendre plusieurs années. Or, il est aujourd’hui sans salaire.
Mais de plus, et principalement, il y a derrière ce combat le refus de voir un travail de quatorze ans (travail de toute une équipe) anéanti d’un coup par un directeur autoritaire. Et l’intention de celui-ci est bien de casser le service infanto-juvénile. Depuis le licenciement de Dominique, la répression à l’intérieur de ce service s’est poursuivie. Bref, tous les efforts, toute la patience qu’il avait fallu pour que cet « asile d’aliénés » devienne un véritable centre de soins, sont sur le point d’être gommés. Ce serait le retour à la case départ, le retour quatorze ans en arrière !
Cela ne pouvait attendre les décisions d’un tribunal administratif qui, de toute façon, interviendront trop tard.. Voilà pourquoi Dominique a courageusement choisi la grève de la faim !

Le soutien
Il est important : l’ensemble des syndicats le soutiennent (avec bien sûr plus ou moins d’entrain), excepté le syndicat « autonome » qui est en fait le syndicat patronal. Une inter-syndicale (C.G.T., C.F.D.T., F.O., plus divers syndicats de médecins) a défini une plate-forme revendicative commune :
- réintégration des agents licenciés ;
- suppression des sanctions injustifiées ;
- assurance d’une inspection générale et technique faite en concertation avec l’ensemble des organisations syndicales. Un comité de soutien fort actif sensibilise l’ensemble de la région.
Les parents des jeunes hospitalisés sont aussi solidaires ; ainsi l’Association de parents et amis d’enfants et adolescents en difficultés déclare : « (…) Nous ne pouvons que nous indigner devant le licenciement dont Dominique Lestrat a fait l’objet car bon nombre de parents de notre association connaissent les liens étroits qui l’attachaient aux enfants de par la qualité des relations qu’il avait su nouer avec eux. Et nous savons combien il est difficile d’entrer en relation avec des enfants comme les nôtres, la somme de patience, le travail long et difficile qu’il faut (…) Avoir licencié D. Lestrat, c’est priver nos enfants de quelqu’un qu’ils aimaient et qui leur apportait beaucoup du fait de la haute conception qu’il avait de son métier d’éducateur (…) ».
Mais également du maire de son village : « (…) Nous savons que Dominique est un passionné de justice et de liberté. Qu’il est capable de défendre ses convictions jusqu’au bout de ses forces, de lutter sans répit, et quels que soient les risques, contre l’arbitraire, l’autoritarisme, la répression, les compromissions, le pouvoir dans ce qu’il a de fondamentalement dangereux, brutal et mauvais.
Voici le texte d’un appel actuellement diffusé dans l’Aisne ; je vous demande d’y répondre tous (…) » Cette lettre a été adressée par le maire de Merlieux (Aisne) à l’ensemble de ses administrés.

Malgré cela
Pourtant, jusqu’ici, les pouvoirs publics (D.D.A.S.S., Préfecture, ministères…) sont restés intransigeants ! Ils couvrent le directeur du C.H.S. ! C’est bien l’administration d’un gouvernement de gauche qui accepte que les droits les plus élémentaires d’un travailleur demeurent bafoués ou bien faudra-t-il, pour que sa dignité se trouve enfin reconnue, qu’il y perde sa santé, si ce n’est sa vie ?
Le soutien des partis de gauche, déjà bien timide au départ, s’amenuise de plus en plus. Les raisons en sont simples ! Depuis toujours, des élus de gauche siègent au conseil d’administration du C.H.S. Cela était vrai aussi sous l’ancienne administration, celle dirigée par P. Chatel. Ainsi, le rapport de l’Inspection générale de l’action sanitaire et sociale (I.G.A.S.S.), rédigé suite à l’enquête des ministères de la Santé et de l’Intérieur, et rapport qui n’est pas encore publié, pourrait bien être explosif ! « Mouillée dans l’affaire », la gauche doit fort peu apprécier que l’on reparle de tout cela.
Enfin, le nouveau directeur, venu pour « remettre de l’ordre », a très certainement eu connaissance de ce rapport ; menacerait-il de rendre publiques certaines révélations ? Comment expliquer sinon qu’une administration de gauche couvre de cette façon, aussi ouvertement , tous les abus d’un directeur, ancien militaire de carrière, et fort connu pour ses amitiés avec la droite, si ce n’est avec l’extrême-droite ?
Le gouvernement de gauche avait-il réellement l’intention de publier le rapport de l’I.G.A.S.S. ? Les militants de la Fédération anarchiste lutteront résolument pour que toute la clarté soit faite et donc pour que ce rapport soit rendu public et dans son intégralité.
On le voit, notre compagnon s’est attaqué à « un gros morceau ». De plus, son état de santé suscite notre plus grande inquiétude. Aussi, la Fédération anarchiste appelle chacune et chacun à envoyer d’urgence des lettres ou des télégrammes, réclamant la réintégration de Dominique Lestrat, aux adresse suivantes :
- Monsieur le ministre des Affaires sociales et de la solidarité, 127 rue de Grenelles, 75007 Paris ;
- Monsieur le Préfet, Préfecture de l’Aisne, rue Paul-Doumer, 02000 Laon ;
- Monsieur le Directeur de la D.D.A.S.S., rue F. Christ, 02000 Laon.
Enfin, le comité de soutien à Dominique tient chaque soir une permanence téléphonique de 20 h à 22 h, au (23) 80.17.09. Adresse postale (où envoyer vos doubles de lettres) : Communauté du Moulin de Paris, Merlieux, 02000 Laon. Dominique a besoin de l’action de tous.

J.-M. Bavard (liaison de Noyon)