J’ai l’impression qu’il va pleuvoir

mis en ligne le 11 novembre 2010
Tirant tête hors du trou, qu’entends-je ? Devisant l’autre soir avec l’ami Maunoury – foisonnant barbu délicat livrant souvent, dans ces pages mêmes, ses photographies de pagaille et autre grève peu générale –, on se disait comme ça qu’Obama, on s’en tape. C’est qu’en cette nuit de novembre à la douceur étrange, nous nous trouvions au pied de l’incinérateur d’ordures, sis en la bonne ville de Saint-Ouen, 93400. Incinérateur bloqué * par d’irréductibles farouches pour qui, décidément, le combat ce n’est pas tant qu’il continue, c’est qu’il ne s’arrête jamais. La cheminée crachait encore, mais plus pour très longtemps, ses volutes de dioxine, et la presse venait de nous être livrée, à domicile s’il vous plaît : les copains de la plateforme NMPP, toute proche, passaient, de tournée en tournée, refiler aux bloqueurs de la nuit du papier encore chaud, à l’encre mal séchée. Pour tenir sans dormir, je vous assure, les amis, que ça vaut les croissants. Or donc, à la une, Obama. « Nous avons pris une dérouillée », glapissait le maître du monde. Oui je sais : aucun intérêt. Le Parisien titrait lui sur « le troc sexuel », en gavait ses pages 2 et 3, c’est dire si le sujet est hautement gravissime. Plus tard et vainement, nous avons cherché dans Libé trace de la continuation du mouvement actuel : un entrefilet et à peine, faisait écho aux deux pleines pages consacrées à la grève… à la BBC. Interview à l’appui, et tout. Tu vois pourquoi je lis pas Libé, me lança alors l’ami. Bin t’es en train de le faire, lui répondis-je, goguenardant.
Dans la presse du jour ou plutôt, de cette nuit, il était également question, en long et en traviole, du remaniement à venir, soporifique feuilleton servi aux laborieux histoire qu’ils pensent à autre chose qu’à venir, par exemple, soutenir les piquets. Raffarin, à ce sujet, raffarinait à qui mieux-mieux : « Ce qu’il faut à notre pays, c’est une rupture dans la rupture. » Maunoury, pour le coup, ça l’a rendu tout chose, perplexe quoi, limite embarqué dans un genre de vortex à haute teneur philométaprotosophique. De mon côté – solidarité volatile oblige –, j’étais plongé dans Le Canard, déchaîné. Alors comme ça il paraîtrait que les journalistes bossant sur des dossiers sensibles sont fliqués à outrance, pistés, écoutés, visités ? Quelle nouvelle, belle Hélène ! On le savait depuis Clovis, cependant ces pratiques ne seraient plus d’actualité : c’est ce qu’en dit Squarcini, chef de la patrouille des barbouzes : « La DCRI n’a rien à voir avec ces carabistouilles. » N’ayant pas apporté sur le piquet mon dictionnaire, je décidai sur-le-champ de ranger l’expression dans la section patois ancien du Nord-Vesoul, et passai à autre chose. Tiens, DSK est au régime, m’informa Maunoury, tout en se fendant d’un bâillement. De mon côté, j’apprenais, parcourant Les Échos, si si, que Martine Aubry avait offert à Michel Rocard, pour ses 80 ans, une édition originale de l’œuvre de Proudhon. « Un cadeau en forme de clin d’œil », précisait le journaleux. Devant ce genre de révélation, pour ce qui était de cligner moi j’y allais des deux yeux. Soudain, un cri : autour du brasero, la chorale des filles des cantines, en grève depuis quatre semaines, hurlaient du Renaud en se bougeant pour se réchauffer un brin : cinq heures du mat’ j’ai des frissons, c’est vrai que c’est déjà l’automne. François Copé, lui, ne tremble pas, qui déclare dans Le Figaro vouloir créer à l’Assemblée un groupe de travail aux visées antigrèves : « Bloquer les ports et les dépôts de carburant, c’est toucher aux fonctions vitales du pays, et ça ce n’est pas supportable. Il y a des choses qu’on ne peut pas laisser faire », menace-t-il, avant de reprocher au corps syndical d’utiliser « des méthodes d’un autre temps » ? Hum, hum, a lâché Maunoury. Il a levé les yeux au ciel avant de rajouter : j’ai l’impression qu’il va pleuvoir.


*. Piquet 24 heures sur 24, rue Ardoin à Saint-Ouen.