L’oligarchie s’en va-t’en guerre

mis en ligne le 28 octobre 2010
6 mai 2007. Le soir de son élection à la présidence de la République, Nicolas Sarkozy se goinfre dans l’ultra-select Fouquet’s. Au banquet sont conviés des patrons à la tête d’empires économiques : Bolloré, Arnault, le Serge D’assault, Decaux… ; de grands intellectuels comme Bernard Laporte, Christian Clavier, Jean Reno, Johnny Hallyday ou Alain Minc ; et toute la clique des Raffarin, Fillon, Balkany, Dati, Albanel, etc. Neuilly et le XVIe arrondissement, en liesse, sont inondés de champagne. C’est le poulain des nobliards qui vient de triompher.
Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot, sociologues spécialistes de l’aristocratie, partent de cette nuit du Fouquet’s pour dresser un réquisitoire sans appel contre le royaume sarkozyste. Leur livre Le Président des riches n’est pas un simple pamphlet, mais une enquête minutieuse. Les auteurs compilent les (mé)faits de l’Élysée pour aboutir à une conclusion sans appel : Nicolas Sarkozy n’est qu’un pantin au service des puissances d’argent.
« Affaires et politique ont souvent été intimement mêlées, mais elles ne le furent jamais, depuis la Libération, avec une telle visibilité. L’affichage public de la proximité du haut personnel politique avec les industriels et les financiers les plus en vue commence à faire partie de cette banalisation décomplexée de la fortune qui, depuis quelques années, s’étale sans vergogne. » Sitôt descendu du yacht de Bolloré, le petit président s’est empressé de faire des cadeaux : distribution de légions d’honneur à ses amis banquiers, patrons, starlettes, journalistes serviles ; renforcement du bouclier fiscal ; création de nouvelles niches fiscales en faveur des ménages les plus aisés ; nominations de copains dans le gouvernement ou les entreprises publiques.
Pendant ce temps, on pressure la plèbe : « Les coûts du remboursement de la dette, liée notamment à tous ces cadeaux faits aux riches, doivent être couverts au prix de coupes sévères dans les dépenses publiques et sociales. » On défiscalise les droits de succession, et on rend imposables les indemnités d’accidents du travail. La guerre de classes est menée au profit du Medef.

Emprise cathodique
Pour endormir la « France d’en bas », Sarkoléon peut compter sur ses « frères » possesseurs d’empires médiatiques. Il renforce son emprise cathodique en mettant au pas l’audiovisuel public, nommant lui-même le président de France Télévisions. « Dans la bataille des idées, la télévision est un enjeu stratégique de premier plan : la boîte à images tend à devenir un formidable instrument de contrôle des esprits qu’il importe de faire fonctionner au service de l’oligarchie et de son président », écrit le couple de sociologues. « La guerre des classes est aussi une guerre psychologique, dans laquelle le produit Sarkozy doit occuper positivement les cerveaux conditionnés. »
Tout en démantelant les services publics, en détruisant les solidarités, en brisant l’autonomie de la justice, en dépénalisant le droit des affaires, en rabotant les acquis des luttes sociales et en gavant les banques, le rouleau compresseur assure devant les micros qu’il se bat pour les petits. Le double langage est permanent pour « rester l’ami des plus riches tout en se faisant passer pour le défenseur de « la France qui se lève tôt ». Flatter le bon peuple en remplissant les poches des nantis. De la poudre aux yeux pour les uns : « Les paradis fiscaux, c’est fi-ni ! » et des milliards d’euros pour les plus riches. Le sens des mots, dans cette guerre psychologique qui ne dit pas son nom, est volé et détourné ».

Nommer le pouvoir
Une toute petite bande contrôle les médias, la politique, les entreprises, la finance, confisque le pouvoir. Des dynasties à l’influence écrasante, capables d’interdire la construction de logements sociaux près de chez eux, dans leurs ghettos de l’ouest de Paris. Le Président des riches met des noms et des adresses sur ceux qui nous dominent. Les socialistes ne sont pas épargnés : « Les réseaux de l’oligarchie de droite et ceux de l’oligarchie de gauche peuvent se rencontrer et se confondre. Les divergences politiques deviennent mineures lorsqu’il s’agit de défendre les intérêts majeurs du système capitaliste. »
Pour les combattre, « il faut vaincre l’opacité du pouvoir, l’un de ses remparts les plus solides ». Derrière les « marchés financiers » abstraits, il y a des banquiers, des hommes d’affaires, des financiers. La main invisible n’existe pas. Derrière le CAC 40, présenté comme un simple indice quasi virtuel, il y a des hommes en chair et en os, 98 dirigeants qui détiennent 43 % des droits de vote dans les conseils d’administration. Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot s’évertuent à faire tomber les masques. Et appellent à redéployer la lutte des classes. Pour que le peuple reprenne ses affaires en main.

Pierre Thiesset

P.-S. : Depuis sa sortie, cet ouvrage est un immense succès de librairie. Il caracole dans le groupe de tête des livres les plus vendus en France. Nous ne pouvons que le conseiller aux directions syndicales mollassonnes.