Dupont et Dupond : premier bilan d’un échec voulu

mis en ligne le 4 novembre 2010
1611SabotageLes manifestants du 28 octobre 2010 auront-ils clos le processus d’actions enclenché depuis plusieurs semaines en opposition à la réforme Sarko sur les retraites ? C’est fort possible, les raffineries reprennent, les ports de Marseille et du Havre sont rouverts et le blocus économique, seul arme efficace contre le capital, s’éloigne de plus en plus. Mais a contrario, des actions de blocage sur des dépôts de toute nature perdurent, certains secteurs, comme le transport aérien, ont prévu dès la rentrée des actions et les lycéens n’ont peut-être pas dit leur dernier mot. Bien que les Thibaud, Chérèque et consorts voudraient bien avoir sifflé la fin de la récréation pour assurer leur complice Sarkozy que la légitimité de son Parlement ne sera pas remise en cause par la rue, l’espoir demeure que les révoltés prennent le pas sur ces bureaucraties serviles. Dans ce cadre, les anarchistes ont tout intérêt à souffler sur la braise du « Nous ne lâcherons pas » et d’expliquer dès à présent les trahisons, les renoncements, les erreurs que le duo des Dupont-Dupont de la CGDT a commis, ainsi que tous ceux qui les ont accompagnés depuis le mois de mars 2010 dans le carcan de l’intersyndicale. Un petit rappel des événements est nécessaire. C’est à la fin 2009 que Sarkozy annonce sa volonté de réformer le système des retraites. Dans le même temps, les directions de la CGT et de la CFDT reconstituent l’intersyndicale avec au centre l’Unsa et la FSU et à la périphérie, la CGC, la CFTC et Sud. Pour mémoire, la même intersyndicale s’était écroulée à la fin du premier semestre 2009, ayant déjà démontrée son incapacité à infléchir la politique de rigueur gouvernementale. Ce conglomérat se donne pour mot d’ordre : emploi, salaire, retraite. Le gouvernement et le patronat affichant que c’est en s’attaquant au système des retraites qu’ils entendent faire payer la crise du capital aux travailleurs, ils créent la diversion sur d’autres revendications, légitimes certes mais, intemporelles par nature. De fait, c’est la rue et les manifestants qui leur imposeront de revenir sur le sujet central : les retraites. Pour autant, ce n’est que le 24 juin, après la phase de concertation ouverte par le gouvernement et face à la concurrence de FO, qu’ils appellent à des grèves et à manifester. Ils auront eu tout le temps de faire passer leur message sans aucune pression extérieure au sérail des plafonds dorés. Entendus qu’entre-temps, la CFDT a déjà lâché les fonctionnaires et leur code des pensions en les vendant au principe du régime unique de retraite et revendique une réforme contraire au régime par répartition. Ce qu’elle obtiendra en partie au final dans le texte de loi adopté au Sénat. Sur ces bases, l’« intersyndicale » aurait dû éclater mais c’est méconnaître le deal conclu entre Thibaud et Chérèque pour mettre au pas la classe ouvrière et la faire rentrer dans l’ère de l’économie de marché. Thibaud peut ainsi légitimer face à ses durs ses renoncements sur le sacro-saint principe de l’unité syndicale. Y compris en interne de la CGT de mars à aujourd’hui, pour museler toute rébellion, il réunit ses fédérations deux fois par semaine, en dehors de tout cadre statutaire, pour donner la ligne. Formés à l’école de Staline, les cadres de Montreuil, siège de la CGT, n’ont pas perdu la main. Finalement face aux annonces du gouvernement qui recule l’âge de départ en retraite de deux ans et certainement, selon la formule, pour ne pas désespérer les travailleurs, l’« intersyndicale » se résout à appeler à l’action le 7 septembre pour une autre réforme sans demander le retrait du projet et sans pour autant appeler à la grève. Mais dès l’annonce de l’action du 7 septembre, elle fait savoir qu’elle participera à la fin septembre à la manifestation de la CES à Bruxelles et la CGT en fait un de ses axes prioritaires de mobilisation. En clair, le message à ses organisations est : « Il y a le 7 mais il y a aussi le 29 septembre, ne mettez pas tous vos œufs dans le même panier. » Par contre, ce qu’avait pas prévu ces ronds de cuir du syndicalisme, c’est la volonté d’en découdre de la classe ouvrière, le 7 septembre est un succès qui les déborde et il se voit contraint pour ne pas perdre la main de reprogrammer une journée d’action quinze jours après avec une variante, ils programment aussi une manif le samedi. Le message pour le pouvoir est clair : « Nous restons dans la protestation policée, nous ne portons pas atteinte à l’économie, nous sommes responsables. » La réponse ne se fait pas attendre et le Premier ministre se félicite de la responsabilité des leaders syndicaux (Dupont et Dupond). Nouveaux succès de la journée d’action, les grévistes et les manifestants sont de plus en plus nombreux, l’intersyndicale se trouve de nouveau contrainte de repositionner une nouvelle journée le 12 octobre et une manif le samedi. Le prétexte de pouvoir mobiliser au-delà des grandes entreprises le samedi tombe rapidement, les manifestations le samedi sont au même niveau voire en deçà des mobilisations les jours travaillés. Par contre, la ritournelle des journées d’action sans appel national à la grève et les processions du samedi ne prennent plus dans une fraction importante de la classe ouvrière, au sein même de la CGT, de FO et de Sud, des appels à la grève reconductible sont lancés à partir du 12 octobre 2010. La part prise dans la grève par les structures oppositionnelles à la ligne de Thibaud sont indéniables que ce soit pour les secteurs industriels : cheminots, ports, pétrole, ou dans les unions départementales. Sud, FO y participeront en fonction de leurs moyens ainsi que tous les travailleurs qui voulaient réellement mettre un coup de pied au cul à Sarkozy. Dans tous les cas, la grève reconductible a été mené contre la volonté de l’« intersyndicale » et selon les propos de Borloo, elle a failli réussir puisque celui-ci admet être passé à quelques heures de la pénurie totale en carburant. Le dernier communiqué d’appel de l’« intersyndicale » pour les journées du 28 octobre et du 6 novembre est édifiant à ce titre. CGT-CFDT-CGC-CFTC-UNSA-FSU appellent à la « préservation des biens et des personnes », reprenant à leur compte pour l’action syndicale la définition que l’État donne de ses fonctionnaires ! À quand la charte du travail… De même, le jeu de rôle entre Chérèque et Parisot à la télé pour tourner la page du conflit, selon leur expression, et pouvoir converser sur l’emploi des jeunes ou Thibaud qui laisse la cheftaine du patronat insulter ses camarades dockers de Marseille sont aussi la démonstration que ces messieurs sont prêts à tout pour sauver leur prébende de la représentativité. Dans tous les cas, si ce mouvement devait en rester là et que la loi soit promulguée, il aura été la démonstration que des millions de travailleurs n’admettent pas cette société-là. Que des militants déterminés et actifs peuvent mettre en échec les partitions huilées du renoncement des Dupont-Dupond du syndicalisme. Qu’au final, l’appel d’Émile Pouget aux anarchistes de rejoindre les syndicats est toujours d’actualité et que nos moyens – l’action directe, l’assemblée générale souveraine – ont toujours l’oreille des travailleurs. À nous de développer nos idées, nos organisations pour rendre la Sociale possible.