Du côté de la folie, ça délire sécuritaire aussi...

mis en ligne le 21 octobre 2010
1609PsychiatrieLe 28 septembre, les psychiatres (hospitaliers seulement, voyez l’esprit collectif !) étaient en grève. Ils se sont mobilisés contre le projet de révision de la loi de 1990, « projet relatif aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et à leurs modalités de prise en charge ». En fait, c’est une belle formule pour dire que les fous, les indigents, les marginaux, on va les enfermer ou les exclure, physiquement ou psychiquement. Le mouvement a été inégalitairement suivi en France et n’a pas eu de portée populaire. Pourtant l’enjeu est grave puisque, dans ce domaine aussi, l’exclusion est à la clef…

Rappel
Ainsi, les lois sécuritaires succèdent aux réformes de privatisation concurrentielle à un rythme effréné. En effet, la loi HPST met un terme à la politique généraliste de secteur, qui assurait la continuité et l’égalité des soins en psychiatrie.
L’indépendance des psychiatres disparaît dans leur totale subordination à la rationalité gestionnaire (contrats, intéressement, sanctions, désignation par le directeur, etc.). Ils perdent tout contrôle de la politique des soins au détriment des directeurs d’hôpitaux qui gèrent l’hosto comme une entreprise.
Les objectifs d’activité seront les seuls critères selon lesquels sera jugée la performance des soins : la concurrence va devenir générale, entre patients, soignants, pôles, établissements… Après les franchises, la gestion des lits et des places à flux tendu et le tri des patients d’une structure à l’autre mettent fin au droit à un accès égal aux soins pour tous. L’ensemble du dispositif tend à concentrer les structures en vue de leur rentabilisation et favorise les plateaux techniques et le privé au détriment des soins de proximité.
Conséquence : un nombre incalculable de patients ne se soignent plus, ou mal. Mais jusque-là, rien de nouveau, puisque cela s’applique déjà dans les services somatiques. La psychiatrie a juste un léger retard. En effet, coter le relationnel est moins évident…
En revanche, ce que compte faire passer le gouvernement cet automne est à la fois nouveau et très inquiétant quant aux soins en psychiatrie. C’était déjà glauque à souhait (la France est actuellement un des pays qui enferment le plus en matière de soins psychiatriques), mais ça tend de plus en plus vers le totalitarisme. En effet, ce projet de loi ne traite que des « soins sous contraintes ». Il marque un tournant liberticide de la psychiatrie, où le contrôle social de la normalité des comportements (fichage généralisé, surveillance électronique, pointage) va remplacer l’accompagnement bienveillant des personnes en souffrance psychique.
Ce qui est prévu risque fortement d’aggraver le caractère de loi d’exception de la loi de 1990, dérogeant au droit commun : la seule avec la répression de l’immigration clandestine où une mesure de privation de liberté est décidée non par un juge, mais par le représentant de l’État (mais y a-t-il une grande différence entre un juge et un représentant de l’État ?). Toujours est-il que, si avec la circulaire du 11 janvier 2010 le préfet n’est déjà plus tenu de suivre l’avis médical, cette prérogative devient force de loi : il a tout pouvoir jusqu’à la saisie a posteriori du juge des libertés et de la détention.

Idéologie, montre toi
Vous l’aurez compris, le point saillant de la réforme proposée est la notion de « soin sans consentement ». « L’hospitalisation sous contrainte » de la loi précédente est ainsi remplacée par le « soin sans consentement », duquel pourrait éventuellement découler une hospitalisation après 72 heures d’observation dans un centre ad hoc. C’est-à-dire qu’avant d’être éventuellement hospitalisé, vous devrez faire 72 heures de garde à vue.
Aussi, les appellations d’hospitalisation à la demande d’un tiers (HDT) et d’hospitalisation d’office (HO) disparaîtraient pour des « soins sans consentement sur demande d’un tiers » et des « soins sans consentement sur décision de l’autorité publique » et enfin, les HO d’origine judiciaire se substitueraient aux « soins sans consentement sur décision de justice ». Encore un malin tour sémantique pour masquer l’enfermement ou plus précisément pour enfermer même en dehors de l’hôpital…
En effet, la chose la plus surprenante et vicieuse dans ce projet est la modalité de soins ambulatoires sans consentement. Décidée par le psychiatre, elle serait précisée dans un document établi par le directeur de l’hôpital, mentionnant l’adresse du malade, le calendrier des visites médicales obligatoires et, si possible, un numéro de téléphone. Bonjour le secret médical !
Le texte prévoit une procédure de convocation immédiate si le patient ainsi suivi ne se présente pas à un « rendez-vous thérapeutique sans raison valable appréciée par un psychiatre » de l’hôpital.
Toujours aussi grave, le directeur pourrait alors prendre « toutes mesures utiles » pour assurer la continuité des soins, ordonner une ré-hospitalisation ou solliciter le préfet. La ré-hospitalisation serait automatique quand le patient relève des soins sur décision de l’autorité publique et de l’autorité judiciaire. De plus, à tout moment, et notamment quand des soins ambulatoires seraient proposés ou quand la levée serait demandée, le préfet aurait la possibilité de demander une expertise médicale, conduite par un psychiatre extérieur à l’établissement ou un expert auprès des tribunaux. Autant dire que l’intervention des flics va se faire à tout bout de champ et que la sortie de l’hôpital ne se fera pas aussi facilement…
Par conséquent, puisque les psychiatres décident moins, vous pensez bien que les familles voient aussi leur pouvoir de décision très réduit. Alors qu’actuellement, le psychiatre doit demander la transformation de l’HDT en HO à la préfecture, s’il est en désaccord avec la famille. Il suffira, si cette réforme aboutit, d’un simple refus du psychiatre pour que la personne soit obligée de rester à l’hosto. Quant aux patients eux-mêmes, une admission provisoire en l’absence de tiers serait possible, en cas de « péril imminent » pour la santé de la personne malade. Au-delà de 72 heures, deux psychiatres devraient avoir confirmé la nécessité de ces soins.
En conséquence, c’est un renforcement terrible du pouvoir de l’État. Il pourra encore plus facilement qu’avant interner d’office toute personne présentant des « troubles » mettant en cause l’ordre public. Quant aux soins en psychiatrie, il se tourne radicalement vers l’enfermement, ne laissant que très peu de choix aux individus et à leurs familles.

Tous les moyens sont bons : les moyens financiers
Si l’État fait des économies, ce n’est certainement pas en matière de flicage ! La dernière fois que l’État a filé de la tune pour la psychiatrie, c’était via la circulaire DHOS du 22 janvier 2009. Celle-ci permet la construction de quatre nouvelles unités pour malades difficiles (UMD) – qui sont en fait des genres de prison –, de rajouter des caméras de vidéosurveillance et des barrières autour de chaque hôpital psychiatrique. Elle prévoit encore l’augmentation du nombre de chambre d’isolement et de foutre des bracelets électroniques aux poignets des patients. Le terrain était en quelque sorte déjà préparé à recevoir ce projet de loi.
La rétention de sûreté
Toujours en lien avec la dernière circulaire du 11 janvier 2010 et le renforcement du pouvoir des préfets quant à la liberté des gens, les antécédents d’UMD et d’HO judiciaires seront des critères pour justifier d’une particulière prudence pour les décisions de sorties. Ainsi, exactement comme en prison, on utilisera des antécédents pour évaluer les risques de récidives. Et au final, le simple rappel des faits commis suffira pour prolonger indéfiniment la rétention de sûreté…

Et la stigmatisation
Comme pour tout le reste de cette politique «fasciste» qui s’installe paisiblement, c’est la sécurité qui est mise en avant dans ce nouveau projet de loi. Ainsi le gouvernement cherche « scientifiquement » à évaluer la probabilité de dangerosité avant une éventuelle sortie. Même les universitaires (souvent de bons sbires cherchant à faire carrière) vont dans ce sens. La preuve, puisque le collège national des universitaires de psychiatrie souhaite officiellement former des internes à « prévenir la dangerosité potentielle à partir d’éléments objectifs ». Main dans la main avec le gouvernement, ils ont l’appui des médias qui se plaisent à crier à tout va (sainte audience oblige) qu’il y a des personnes dangereuses, et d’autant plus quand elles ont été en hôpital psychiatrique ou en prison. Or, tout bon psychiatre sait qu’il n’y a pas de personne dangereuse, mais que des états dangereux. Et on sait maintenant très bien que la grande majorité des crimes ne sont pas commis par les personnes étant passées en HP (90 % des crimes étant élucidés par la police). Les malades mentaux ne sont non seulement pas plus dangereux que les autres, mais seraient, en revanche, bien plus exposés à la violence de leurs concitoyens et/ou des institutions étatiques.

Conclusion
Cette réforme n’est pas celle de la psychiatrie, c’est une nouvelle ligne ajoutée aux dispositifs de sûreté du pouvoir exécutif.
L’État met de la surveillance et de l’enfermement là où il faudrait du soutien et de l’accompagnement. Et il instaure de la méfiance, là où il y aurait besoin de confiance. Il s’agit d’une attitude à l’égard de la maladie mentale qui reflète l’équilibre des pouvoirs au sein de notre société. Et il vacille sévère cet équilibre en ces temps…
En tout cas, derrière cet épouvantail du fou que l’on agite, n’est-ce pas chacun d’entre nous qui est visé, sommé de se conformer à l’ordre néolibéral ou au « bon français » ?
Assez de tous ces enfermements ! Résistons et autogérons nos vies !

Romain, groupe de Caen de la Fédération anarchiste