L’écologie antiterroriste, un problème épineux

mis en ligne le 16 septembre 2010
La finance a fini par comprendre que l’écologie rapporte. Le vert, après tout, est la couleur du dollar. Attendons-nous donc à une déferlante de produits de cette aimable teinte. Un article de Georges Bourquard dans Le Dauphiné libéré (indiqué par l’ami René) réussira toutefois à nous surprendre. Il décrit une solution écologique à l’épineux problème des clôtures. De même que l’obus et la cuirasse se courent après l’un l’autre dans une course sans fin, la clôture et l’intrus n’en finissent jamais. Par chance, un pépiniériste de l’Ain a inventé une clôture aussi impassable qu’écologique.
Il suffisait d’y penser : on peut franchir un arbuste épineux, mais pas une combinaison d’arbustes épineux plantés à 80 centimètres les uns des autres, et surtout, tressés ensemble au cours de leur croissance. « Avec le temps, les végétaux se soudent et deviennent impénétrables », déclare Maxime Douvre, l’un des pépiniéristes antiterroristes. Certains sceptiques marmonneront que la tradition de la Ligne Maginot, apparemment, refuse de mourir, et qu’un bon lance-flammes, un bulldozer… Non, il ne s’agit pas d’empêcher toute intrusion, il s’agit d’empêcher toute intrusion secrète. Le lance-flammes moyen laisse des traces incompatibles avec la discrétion requise pour explorer les sites sensibles.
Digression : il est typique de notre société de cochons de kidnapper l’un des mots les plus charmants de la langue, « sensible » – un clitoris est sensible, un cœur est sensible –, et à l’appliquer aux bâtiments les plus blâmables de la planète, centrales nucléaires, laboratoires de recherches militaires, prisons clandestines…
Un aspect piquant de l’arbuste combattant réside dans sa capacité à leurrer l’attaquant hérissé de mauvaises intentions : une haie, se dit le barbu assassin, voilà qui ne saura me retarder un instant, par Allah ! L’astuce française et chrétienne prouve alors sa valeur ; les mille épines ont en effet pour appréciable vertu de retenir l’indélicat. Les autorités peuvent en conséquence l’épingler, l’envoyer se faire torturer chez les pays moins efféminés, et le garder en combinaison orange dans une base, ailleurs.
Notre nanoprésident a beau nous avoir remis dans le giron central de l’Otan, nous ne plaisantons toujours pas avec l’indépendance nationale. Le GIGN a donc testé la ronce patriotique, soigneusement tressée autour du CEA de Saclay. Satisfaits, ils ont décerné le label SuperDupont à M. Daniel Soupe, propriétaire des Pépinières Soupe et de Sinnnoveg (Société d’innovation végétale), spécialisée, j’imagine, dans le salsifis explosif, le poireau biométrique, la carotte patronale et le pois chiche (il s’agit d’équiper les boîtes crâniennes policières).
Sauvera-t-il aussi l’économie française ? Pourquoi pas ? Car, avec ses 115 salariés, Monsieur Soupe vend pour 7 millions d’euros 1 de tresses par an. Et pas cher : de 40 euros le mètre à 120 euros si vous voulez l’arrosage intégré. Vous pouvez payer plus pour avoir plus. Monsieur Soupe ne demande qu’à épicer l’épine de béton, pour les sites et les pays où l’on a de bonnes raisons de craindre les attaques au camion-bélier. Place à ses technologies de pointe, cocktails épines-barbelés, épines- « câble-rasoir » (le barbelé moderne, celui qu’on déroule en élégantes spirales), épines-capteurs électroniques, etc.
En homme qui se pique de penser au bien public, Daniel Soupe travaille sur des murs végétaux destinés à remplacer les vilaines glissières de sécurité, métallique, des routes. Avec ses murs chlorophylliens, « toute l’énergie sera absorbée par les arbustes, pas par les passagers de la voiture en perdition ». Il le démontrera bientôt dans des crash-tests : « À 60 km/h, l’habitacle ne devrait pas être déformé. »
En attendant, les affaires de notre philanthrope fleurissent : les déchetteries, par exemple, réclament son produit. Parce que dans nos sociétés où chacun est assuré d’un gagne-pain, ou au moins d’un quignon, on trouve encore des rustres pour vouloir gagner un peu d’argent de poche en dérobant les métaux récupérés par les déchetteries.
L’agroalimentaire marocain, lui aussi, achète de la haie française. Pourtant, puisque personne n’a faim au Maroc, personne ne pique de fruits ou de légumes dans les maraîchages du pays. Non, personne, juste les touristes.
Il semblerait que des gares s’équipent de ces haies pour empêcher le franchissement des voies, et que la curiosité des prisons, françaises ou autres, ait été piquée. Sans parler de particuliers aux résidences attirantes. Enfin, gloire des gloires, Monsieur Soupe a beaucoup vendu aux Floralies. De Bagdad.
Patriote jusqu’au bout, il déclare à leur propos : « Et encore, on ne leur a pas tout montré, pas ce que l’on a de plus sophistiqué en tout cas. »

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1. Si Monsieur Soupe se fait des couilles en or, qu’il médite le beau slogan aperçu sur les murs lors de la manifestation du 1er mai : « Tant qu’il y aura des couilles en or, il y aura des lames en acier. »