Manifeste pour une Vieillesse libertaire : hymne aux Libres Centenaires

mis en ligne le 17 septembre 2009
Préambulation
L’ère des centenaires arrive au pas de course. Il importe qu’ils aient pied ferme et souffle vif, pour apporter à une société de merdique apocalypse la sagesse du temps – sagesse reniée, dénaturée, perdue, dont ils sont, par excellence, puisqu’ils ont et qu’ils sont le temps, les détenteurs. La Vieillesse, considérée comme matrice et expression d’une vision et d’une pratique libertaires du temps – c’est ce que tente de mettre en lumière cet Hymne aux Libres Centenaires. L’actuel gouvernement, toujours en quête d’un avenir qui est derrière lui, s’est doté, juin 2009, d’un secrétariat d’État aux Aînés (sic) – z’« Aînés », écrit avec un grand A pointé en potentiel d’Anarchie, ou, dans un constat plus réaliste, petit tas allant toujours grossissant des « petits vieux » à re-traiter ? Adoptons pour notre part, comme nous l’avons fait ailleurs 1, le grand A du Grand Âge à l’Anarchie pointilleuse, annonce d’une nouvelle internationale : Debout, les Aînés de la terre / Debout les forçats du Grand Âge…

Le temps passe. Mais passe où et où ça passe ? L’est passé par ici l’est passé par là-bas mais à passer partout c’est nulle part passer Ah sacré nom de dieu du dieu temps qui sous notre nez pfuit nous fuit ! Le sage dit : Prends patience du temps qui passe. Et chante le poète : « Passent les jours et passent les semaines Ni temps passé ni les amours reviennent. » L’écrivain à bout de souffle à son écritoire piaffant court où ça ? : « à la recherche du temps perdu » ! Héraclite dit l’Obscur philosophe des Lumières clame l’irréparable : « Tout passe ». Et Qôhèlet auteur de « l’Ecclésiaste » fils de David prononce l’irréfutable : « Tout est vanité Il y a un temps pour enfanter et un temps pour mourir un temps pour tuer et un temps pour guérir un temps pour pleurer et un temps pour rire un temps pour aimer et un temps pour haïr Il y a un temps pour toute chose sous le ciel » 2.
Pour toute chose vraiment ? Ciel ! En vérité nous chemin faisant faisons le plein du temps. Mais plein du temps qu’est-ce ? Mon hypothèse : Moi pif sur le réel n’ayant d’autre regard que sur notre calamiteux terreux être-là et d’autre mesure qu’un comput d’années je l’annoncerai ce tout plein de temps : Vieillesse.  Enfance passe et jeunesse passe et maturité passe et sénilité passe Vieillesse ne passe pas est impasse est arrêt est du tard venu est le nu art de la tare. J’appelle ici tare en musical tempo la charge d’annuités accumulées sur l’un des mille plateaux des balances émouvantes du temps tare qui défalqués formatages et cuirassements d’être et spectres humains et rats morts et planches pourries qui vont dérivant nous offrirait fléau sublime verticale raison l’enfin juste bon poids des choses.
Absolu pouvoir du temps qui gît hercynique matriciel gisement en toute chose à tout s’identifiant s’identifiant au tout tant petit tout (toi) que grand Tout (l’Autre). Temps à tout est bon tout est bon en monnaie temps (« time is money » qu’ils disent) élan vital où goulûment tètent éternelles résurgences du Naître molécules et galaxies. Et laissons pour un temps à leur insondable noirceur les trous noirs où s’en retournent astronomiques abolis bibelots qui s’auto-abolissent le Temps et l’Espace copulant à perpète.
Orgastique ô merveille à peine cela dit lapalissade nous voici en voie et veine et verve de verser à vérité Vieillesse tout son temps tout son dû tout son plein qui est toujours trop plein de temps creux trous vides abîmes sévices compris. à toi ô Vieillir la vie toute tout notre ici bas Vivre ! Ivres du Vivre soyons notre seul sensible commun univers ô Vieillesse sévissante qu’ici au clavier du temps je chante fabuleux carquois de l’âge grand gris grisé « la vie est un vin » fort des flèches désirs hardis ardents vibrant sur arc bandé.
Le tout de notre existence mystère et p’tite boule d’homme est c’est sûr tout grièvement grevé de trous alors tu peux toujours petit homme-trou le projeter dans ces Ciels peuplés d’olympieuses Entités (situées si très-haut qu’on n’y voit ô nuées que dalle !) le découper en Concepts spray-à-penser vaporisant des formes cavernicoles pour pelotage d’intellect (esprits platoniciens hantant notre philosophie Caverneuse êtes-vous là ?) l’étaler sensuelle tartine sur des Concrétudes si opaques si longues en bouche qu’on en demeure éperdu (nie vite onaniste l’amertume de la perte !) ou le loger énergie des Consciences ressourcées en masse cérébrante dans les circonvolutifs replis de ta tête de petit fiérot érigé sapiens sapiens (sur cours-y vite à la rencontre de ton double !).
Chantons pour (outre) passer le temps cet autre temps d’une actuelle Vieillesse en devenir. à petits pas toujours plus nombreux s’avance martèlement sourd une Vieillesse qui se veut plénitude BienVieillance du temps utopie d’un Vieillir entrant en Bienveillance Qui, hors elle au zèle faiblard pourtant pourrait y prétendre ? Elle demeure notre humain incommensurable recel du trésor temps prodige tel qu’elle-même ô pauvre âme refoulante voix chevrotante marche claudiquante artère palpitante cervelle dévissante ose à peine le dénombrer l’inventorier ?
À trop porter charge d’ans plénitude Vieillesse à la semblance du corps du divin Osiris ce baiseur sans-âge au sexe oxyrhinque 3 se démembre se morcelle se disperse et blocs de souvenirs pans de mémoires grappes d’affects pièces disjonctées de s’ébranler dans le branle-bas du grand âge retrouvant des sens enfouis insolites immémoriaux libertaires tout prêts peu l’osent peu le disent à s’élancer pour une extrême aventure en âcre lac « sur l’océan des âges jeter l’ancre » des travaux et des jours pour l’accomplissement de soi.
Toute Vieillesse est entrelacs enchaînement déchaînement prométhéens fédération d’îlots en saillie liés déliés reliés ralliés palliés criés : Aïe, Ahi, Archipel du Grand Âge rugis donc ! Chapelet d’îles s’exclamant libérées solitaires solidaires. Pareil au « Bateau ivre » d’un Rimbaud sénescent (qui l’eût cru) tu n’es plus guidée par les haleurs les valeurs-cuirasses ont largué les amarres et maître tu peux l’être grand Ancêtre dans ta propre maison au foyer crépitant du Soi. Oui ici vivre ! Encore ! Il convient en vérité que sagement dès maintenant tu y pourvoies par toutes opportunes voies prendraient-elles ma foi les tangentes hors loi.
Sache néanmoins ceci fil du temps n’est pas mince filet d’eau de source pure qu’on nomme jouvence. Le fil du temps est une corde à nœuds et Vieillesse un sacré sac de nœuds. Vois ces noueuses mains de la Vieillesse elles se tendent et s’agrippent s’efforçant de cueillir au passage quelques humbles mémorables traces. Noueux le poing octogénaire et bientôt centenaire dressé pour la pugnacité de défilés rageurs noueuse tout autant la canne au bois plus vaillant et plus leste que pesteuse langue qui maintient en respect l’agresseur la giovinezza fasciste.
Nouer dénouer c’est rythme de vie yin et yang vibration d’âme. Et si vibrations il y a cordes y sont. Nœuds et cordes il nous faut les accorder fantastique programme du grand âge. Que de nouages (ô âge à noeuds) que de tresses (ô détresses tapies) à dénouer quand trop noués à renouer si dénoués trapézerie d’âme (quel cirque !) et plus dure est toujours la chute.
Demeurer en alerte : nous guette à chaque filiforme labyrinthique tournant le Minotaure tueur aux cornes de bêtise et fil d’Ariane n’est guère plus qu’esperluette & nœud coulant & nue cordelette à passer à l’ingresque gorge d’une Phèdre foudroyée d’amour ô perturbation ma sœur Âge ne vois-tu rien venir pour que dure et dure indéfiniment la fable d’exister.


1. Cf. Roger Dadoun, Manifeste pour une vieillesse ardente, Grand Âge, âge d’avenir, Zulma, 2007.
2. L’Ecclésiaste, dit aussi le Qôhèlet, un des « Écrits » les plus singuliers de la Bible hébraïque, débute en ces termes : « 1. Paroles de Qôhèlet, fils de David, roi de Jérusalem. 2. Vanité des vanités, disait Qôhèlet ; tout est vanité ! » (La Bible, Émile Osty, Seuil).
3. Dans la mythologie égyptienne, la déesse Isis aurait cherché et retrouvé, pour le reconstituer, tous les morceaux épars du corps de son amant et fils et frère Osiris (assassiné par son frère Seth), à l’exception du sexe, avalé par le poisson oxyrhinque (dit aussi « brochet du Nil »).