La santé autogérée

mis en ligne le 24 septembre 2009
C’est à Barquisimeto, État de Lara, dans la partie centre-ouest du Vénézuela, que fut inauguré le 2 mars de cette année le CICS, Centre intégral coopératif de santé, au cœur des quartiers populaires situés à l’ouest de cette ville d’un million d’habitants. Haut de trois étages, le plus important établissement hospitalier dans cette partie de la ville est porteur d’une vision holistique du bien-être et de la santé des personnes. L’initiative s’inscrit dans un secteur coopératiste dynamique, la Centrale coopérative des services sociaux de Lara, ou Cecocesola.

Une histoire
En 1967, Cecocesola a été créée par dix coopératives qui s’associèrent. Sa nai­­­ssance était motivée par le souhait de proposer des services funéraires aux adhérents coopérateurs. Très vite, deux conceptions divisèrent les adhérents quant à l’usage de l’outil coopératif : celle visant à n’élargir l’offre des avantages qu’aux adhérents, et l’autre – plus globale – avec l’objectif de transformer les réalités sociales et économiques des populations. Son développement se heurta parfois aux intérêts privés ou publics au cours de conflits tels que celui de 1980 dans le secteur des transports en commun, par exemple 1.
Tirant les leçons de ces expériences et ne baissant pas les bras, les militants coopérateurs créèrent alors des marchés alimentaires dans une ville qui en manquait. Ce sont les membres des organisations membres de Cecosesola qui en assumaient l’organisation concrète et la tenue.
Aujourd’hui, Cecocesola est forte de 20 000 associés-adhérents répartis dans une soixantaine d’organisations. Des besoins très divers sont ainsi couverts : services funéraires, marchés alimentaires (qui desservent 250 000 habitants de la ville de Barquisimeto), transports en commun, écoles, productions agricole et agro-industrielle, santé, fonds d’entraide, ventes d’articles alimentaires et pour la maison…

Leur vécu sert à construire
Cette réussite, après quarante années de tâtonnements, s’appuie sur des pratiques et aussi sur la réflexion de ces coopérateurs de l’état de Lara. Deux de leurs textes notamment permettent de comprendre comment les pratiques inspirent une philosophie et donnent un cadre à l’avenir : « Rechercher une convivialité harmonique » (2003) et « Construire ici et maintenant le monde que nous voulons » (2007). Cecosesola considère le chemin de la transformation sociale comme un chemin qui passe obligatoirement par l’évolution culturelle des gens. Les « chang­ements révolutionnaires » intervenus jusqu’ici se sont limités à changer le nom des institutions et à susbtituer des bureaucraties par d’autres bureaucraties. Pour la centrale de Barquisimeto, une culture se manifeste à travers l’interrelation entre trois préoccupations : le fait organisationnel (comment nous nous regroupons), le fait économique (comment et pourquoi nous produisons) et la connaissance (comment nous concevons l’existence). Cette culture, adaptée aux réalités vénézueliennes, est une réponse au courant culturel dominant qui s’exprime notamment à travers le profit individualiste, la complicité parasitaire, et l’égalitarisme, mécanisme homogénéisant qui pénalise les initiatives personnelles ou groupées. Au plan de l’organisation, Cecosesola associe étroitement trois critères qui sont :
– La discipline collective, qui s’exprime notamment à travers des réunions accessibles à tous les adhérents, à l’ordre du jour ouvert, et avec des prises de décision au consensus. Il n’existe pas de quorum, les décisions se prenant avec les personnes présentes, et en encourageant par ailleurs la tenue de réunions sur les lieux de travail.
– La responsabilité partagée : participer et se responsabiliser sont les deux faces d’une même médaille. Il s’agit là de rendre possible l’initiative personnelle et en groupe en facilitant la transformation individuelle et collective au moyen de rapports de confiance et d’identité qui doivent émerger dans une organisation ouverte et non hiérarchique.
– L’attitude multifonctionnelle, où il n’existe pas de charges et de postes mais des devoirs à accomplir. Entre tous, le travail est assumé de façon tournante, permettant pratiquement de gagner une vision globale de l’organisation coopérative. Il n’y a ni organigramme ni manuel d’utilisation, mais une transmission verbale.
Pourtant, Cecosesola ne se revendique pas d’une organisation de type horizontal, pour ne pas finir dans la même rigidité qu’une organisation verticale. La flexibilité, l’adaptation, tout en démontant les structures de pouvoir, sont les qualités qui donnent à Cecosesola un cadre d’évolution. Née bien avant les plans d’encouragements du secteur des coopératives par le gouvernement Chàvez, des animateurs de la centrale coopérative du Lara affirment ne pas être antichavistes en ne sollicitant pas les aides gouvernementales. Il s’agit de continuer une démarche entamée quarante années plus tôt, en renforçant le processus déjà réalisé et en trouvant eux-mêmes les ressources qui peuvent manquer, sans être dépendants d’autrui. « Ce qui nous importe, c’est faire les choses par nous-mêmes », affirment-ils.

Se consacrer à l’humain
Le correspondant du journal El Libertario de Caracas, présent à l’inauguration du centre hospitalier financé intégralement par la coopérative Cecosesola, commente : « Le Centre intégral coopératif de santé bénéficiera tant aux associés du mouvement coopératif qu’à la communauté de l’ouest de la ville de Barquisimeto avec des tarifs solidaires. L’initiative ne surgit pas de nulle part. Là, Cecosesola compte avec l’expérience de la gestion de six centres de santé communautaires, dont les chiffres parlent d’une fréquentation de 150 000 patients par an. »
« Le CICS n’est ni un hopital, ni une clinique privée. Dans ces lieux, on soigne les maladies, mais on n’assure pas la santé. Il s’agit donc d’un endroit qui comportera un lieu pour les assemblées, mais consacré aussi à l’acupuncture, aux massages, à l’hydrothérapie, à la médecine chinoise… Ce bâtiment a pour objectif de se consacrer à l’aspect humain de la médecine. La chirurgie et l’hospitalisation apporteront un équilibre à l’ensemble ; les médecines traditionnelles ou l’éducation à l’exercice physique peuvent aider mais pas suffire », conclut un des animateurs des coopératives de la ville 2.


1. Suite à une forte augmentation du prix du transport en autobus, Cecosesola créa en 1976 un Service coopératif de transport, sans but lucratif et propriété des travailleurs. En 1980, l’administration la liquida alors qu’elle utilisait jusqu’à 90 autobus.
2. Cet article a été écrit grâce aux contributions parues dans le journal El Libertario (n° 54 et 56) de nos camarades de Caracas. Voir nodo50.org/ellibertario/