ExpLosition des « dessineux » du Monde libertaire

mis en ligne le 24 septembre 2009
Depuis quand le Monde libertaire existe-t-il, et y avait-il des dessinateurs avant qu’y apparaissent la bande de dessineux qui organisent l’expLosition qui nous réunit aujourd’hui ?
ML : Le Monde libertaire en tant que tel existe depuis 1954. Des dessinateurs, il y en a eu un certain nombre parmi lesquels des gens illustres comme Reiser ou Wolinsky. Mais ce qui est très dur, c’est de fidéliser les dessinateurs tout comme fidéliser les plumes. En fait, l’expérience que nous vivons actuellement est assez exceptionnelle : chaque semaine, nous leur envoyons le sommaire, les articles disponibles, le type de une, et puis ça fonctionne, le collectif s’auto-organise pour fournir le plus gros de l’illustration du journal ; et ce qu’ils nous offrent relève plus du graphisme artistique que du dessin de presse ; c’est un graphisme de haute qualité.

Ce collectif existait-il auparavant ?
Dessineux : Non ; ses membres appartiennent à divers collectifs : les Fresquineurs, Humungus, le fanzine Kontagion. Némo, qui a été le premier à proposer des dessins au Monde libertaire, a impulsé la constitution de ce collectif qui grossit sans arrêt : dès qu’on rencontre un dessinateur, on lui propose de participer à l’Aventure, comme on dit.

Qu’est-ce que ça vous apporte de participer à cette aventure ?
D. : Tout d’abord, ça se passe bien entre nous et avec le comité de rédaction, donc on a envie de continuer. Ensuite, cela permet, chaque semaine, d’avoir à réfléchir sur des trucs qu’on aurait pas pensé à illustrer ; ça nous permet de devenir plus intelligents (rires) et de nous tenir au courant des trucs horribles qui se passent dans le monde. Il y a de très bons articles et cela nous fait plaisir de les illustrer. Et puis, l’avantage, c’est que ça nous oblige à dessiner vite puisqu’en fait, le mardi soir, on a les thèmes, on s’envoie des mails, on se dispatche le travail suivant l’intérêt de chacun pour tel ou tel article et ensuite on doit avoir tout fini le vendredi soir ; ça nous oblige à être synthétique, à trouver vite l’idée et c’est très intéressant.
Par ailleurs, le Monde libertaire nous ouvre autant à des dessins de presse ou d’illustration qu’à des strips : certains, comme Gomé ou Krokaga, passent régulièrement de petites bandes dessinées. Cela peut même ouvrir des portes : Gomé, avec Canarchy, va peut-être être édité par des gens qui l’ont découvert dans le Monde Libertaire. Tardi nous a précédé sur cette voie. Et puis, ça nous fait plaisir d’être dans cette continuité comme dans celle de peintres plus célèbres qui, dans les années 1920 et autres, ont participé au mouvement anarchiste. Art et anarchie, ça va bien ensemble !

Vous présentez les contraintes matérielles comme positives, mais il doit bien y avoir des points négatifs ?
D. : Évidemment, il y a des codes à respecter ; pas de sexisme, par exemple, donc des meufs à poil, on n’a pas le droit. Mais ce qui est bien, c’est que personne ne nous impose rien, on peut faire ce qu’on veut, on est assez libres. Ce qui peut être un peu difficile, c’est de gérer les egos des dessinateurs. Il suffit que l’un de nous soit oublié, qu’un dessin se perde dans les limbes informatiques et d’un seul coup, c’est la vexation ; il faut rattraper ça par des mails : « Non mais ce n’est pas grave, ton dessin passera la prochaine fois, il était bien ton dessin, ce n’est pas une censure de dernière minute, c’est vraiment pas de chance. »
M. L. : Ce ne sont pas seulement les limbes informatiques, c’est aussi le fonctionnement collectif d’un journal où, dans le comité de rédaction, on aime bien discuter et décider ensemble de l’adoption de tel ou tel dessin qui nous pose éventuellement un problème. Alors, effectivement, il n’y a pas d’enjeu de pouvoir, mais il n’est pas toujours facile de faire coïncider les attentes d’un canard militant, organe d’expression de la Fédération anarchiste, et celles d’une équipe d’artistes qui ont leurs propres dynamiques. Ce n’est pas facile, mais c’est aussi beaucoup de plaisir.

Et pour la une, comment ça marche ?
D. : Le thème est donné par le comité de rédaction ; des fois, c’est un peu vague, et il faut interpréter. Mais il y a aussi des thèmes généraux qui reviennent régulièrement – on sait très bien qui sont nos ennemis – et là on peut avoir des dessins déjà faits qui collent bien pour la une ou des articles sur la pollution, la répression, sur des tas de choses, des tas de sujet. D’un point de vue pratique, on se répartit la une gentiment, sans s’énerver. En général, on se laisse toujours un peu de temps, on ne se précipite pas. S’il y en a un qui est chaud pour la faire, il se manifeste ; on demande toujours si ça ne dérange pas. Et s’il y en a un qui répond qu’il avait une idée déjà bien avancée, on lui laisse. Il y a toujours de la place pour prendre la une ; il y en a une chaque semaine, ça tourne.
C’est comme pour les articles, on ne va pas se battre ; à la limite, si on était rémunérés, peut-être que ça engendrerait un mauvais climat, mais là non, travailler bénévolement permet aux gens de le faire en bonne amitié et en toute simplicité ; et puis si des fois, on est pas disponible, on ne le fait pas et puis ce n’est pas grave.

Et le journal, comment vit-il cette explosion artistique ?
M. L. : C’est une expérience exceptionnelle. Des fois, c’est un peu rugueux parce qu’à la rédaction on attend énormément avant le bouclage : qui c’est qui va faire, qui c’est qui fait pas ? Et puis tiens, suspense, ça arrive. « Ah ! la Une promise... elle nous plaît pas ! » Enfin bon, ça se renégocie, et c’est ça qui est intéressant entre un comité de rédaction et un dessinateur ou une dessinatrice qui a pris le temps de produire un truc qui demande énormément de travail personnel, et des fois ce n’est pas ce qu’on veut. Mais c’est parce qu’on a affaire à de vrais talents de graphistes qui ne sont pas forcément dans l’élan d’une presse ; on a eu des discussions comme ça très souvent, et on renégocie, on recalibre et puis ça recause et heureusement, ça se passe dans un bon esprit et autour de quelques bières… Et c’est bien parce que se sont de vrais artistes que cela apporte tellement au journal !


Propos recueillis par Monique, individuelle des Yvelines.