Vers une réappropriation du travail

mis en ligne le 24 décembre 2009
Dans un pays où l’état privatise, où les capitaux des entreprises sont entre les mains de géants de la finance et se vendent, s’échangent, deviennent des chiffres parmi d’autres ; dans un pays où, sous prétexte de crise, on n’hésite pas à licencier, à délocaliser pour mieux exploiter, quelle valeur peut-on accorder au travail ?
L’autogestion a souvent été tenue pour un rêve impossible. Pourtant des exemples existent : Lip 1 reste le plus connu. Nous n’avons pas besoin de nos patrons.
Pourquoi les producteurs, entendons par là les gens qui produisent, sont-ils tenus à l’écart des prises de décisions et ne profitent pas des bénéfices ? Pourquoi continue-t-on à produire plus plutôt que produire mieux ? Il n’y aura pas de porte de sortie aux crises, qu’elles soient sociales ou économiques, sans une réappropriation du travail.
Depuis l’industrialisation, l’organisation du travail ne donne plus aucune place à l’individu : le travailleur est devenu une machine à créer du profit, le rouage d’un système capitaliste dont il ne maîtrise ni les tenants, ni les aboutissants. On ne lui demande pas de penser, mais de produire et de consommer : le système est si bien fait que les travailleurs sont payés pour acheter la marchandise qu’ils produisent.
Bien qu’il convienne de faire le distinguo entre les grands patrons de multinationales et les petits patrons de PME – qui n’entretiennent pas le même rapport avec leurs salariés – dans les esprits, un tel gouffre sépare patrons et travailleurs qu’il semble difficile pour beaucoup d’imaginer des responsabilités partagées. Pourtant, il est possible d’être à la fois associé et travailleur ; ce modèle d’association existe, ce sont les Scop 2. Cette nouvelle manière de travailler poursuit plusieurs objectifs : entreprendre à plusieurs, partager équitablement les bénéfices et mettre l’humain à la tête des priorités.
Une Scop peut être créée par des salariés qui, ensemble, décident de monter une entreprise. Un site menacé peut aussi devenir une Scop après son rachat par des travailleurs. Les salariés d’une Scop doivent posséder au moins 51 % du capital, après quoi, quelle que soit la part de capital de chacun des coopérateurs, chacun ne dispose que d’une voix, et les décisions respectent donc le principe coopératif. En cela, les Scop montrent bien qu’elles font surtout preuve d’éthique. Si une échelle des revenus est généralement adoptée, il arrive que certaines Scop choisissent une égalité des salaires. Ces entreprises incarnent donc une véritable ère nouvelle du travail.
En choisissant de travailler dans une Scop, on choisit aussi de travailler ensemble, de s’épanouir au sein de son travail, de faire changer les choses. On compte déjà plus de 50 000 salariés qui travaillent au sein de près de 2 000 Scop.
Si par capitalisme on entend la domination du marché par quelques grandes multinationales, la recherche du profit plutôt que de l’équilibre, alors il existe des alternatives crédibles au capitalisme. Il n’est plus possible aujourd’hui d’imaginer l’avenir de notre planète sans en sortir. Le développement durable et autres opérations marketing n’y changeront rien. Une seule solution : gérer nous-mêmes le travail, ne plus penser à la productivité mais à la manière de produire, supprimer les intermédiaires…
Des associations l’ont déjà compris. Les Amap 3, par exemple, qui, sous forme d’un partenariat entre consommateurs et agriculteurs, permettent de continuer de manger des produits frais, de proximité, de saison et souvent bio. Les avantages sont nombreux : la suppression des intermédiaires permet, en plus d’éviter une certaine forme de pollution, d’assurer un prix équitable pour le paysan comme pour le client, de permettre le dialogue entre producteur et consommateur et de savoir précisément d’où vient la nourriture que l’on mange.
Ce genre de fonctionnement est une nouvelle option face aux supermarchés, temples de la consommation, et à la mondialisation. Le retour à une économie de proximité sera la prochaine étape clef vers une alternative au capitalisme.
Pour que chaque individu puisse vivre libre et décider de son avenir, pour instaurer l’égalité sociale et économique, respecter la planète, un changement radical de société est nécessaire. Pour que le travail reste un élément d’épanouissement et non plus une humiliation, repensons-le.

Germinale



1. Lip (entreprise horlogère) : en mai 1973, au cours d’une grève, les travailleurs décident la remise en route de la production, sous contrôle des travailleurs, pour s’assurer un « salaire de survie ». Le slogan « C’est possible : on fabrique, on vend, on se paie » vient populariser cette lutte autogestionnaire.
2. Sociétés coopératives de production.
3. Association pour le maintien d’une agriculture paysanne.