L’État c’est toujours plus... de fric au capital et de coups de trique au monde du travail

mis en ligne le 24 décembre 2009
Le sport préféré des doctrinaires du capitalisme, en tant que système monde considéré comme étant le modèle idéal autant qu’indépassable de l’histoire, consiste à glaviotter sur l’« État-providence ». Mais les mêmes, toute honte bue, se réjouirent quand les gouvernements du G20 mirent le système bancaire international sous oxygène après qu’il eut frisé le collapsus. Mais la reconnaissance du ventre est inconnue chez ces gens-là. Preuve en est : à peine les saigneurs de la finance reprirent-ils des couleurs grâce à l’argent public, qu’aussitôt les contempteurs de l’« État obèse » réactivèrent leurs glandes salivaires pour revenir à leur singulière autant que dégoûtante monomanie.

Les fruits de l’État dans la panse du privé
Ici, simplement soucieux de faire un sort à la présumée imputrescible fable reposant sur « l’obésité paralysante de l’État tentaculaire » (Le Figaro, 5 avril 2008), nous vous convions à faire une courte plongée dans l’histoire récente du pays des fromages qui puent. À partir des années 1980 et jusqu’à aujourd’hui, un credo commun fédéra les gouvernements de gauche et de droite qui se succédèrent à la tête de l’État : privatiser était une question de vie ou de mort pour l’économie du pays. Cependant, les moins hypocrites assenaient plus directement que, sans cela, le « capitalisme à la française » serait condamné à rester à quai pendant que s’ébranlerait le train de la mondialisation heureuse. Et c’est ainsi que le privé fut convié à ouvrir grand son bec pour avaler une pleine corbeille de fruits juteux et sucrés jusque-là suspendus aux branches de l’État : Saint-Gobain (1986), la SG (1987), Total (1992), la BNP (1993), Renault (1996), Péchiney et Usinor-Sacilor (1997), le Crédit Lyonnais (1999), France Télécom (2004). Les ventes d’entreprises publiques (ou à participation majoritaire de l’État) à « prix d’ami » effectuées sous les gouvernements d’Édouard Balladur (1993-1995) et d’Alain Juppé rapportèrent seulement 140 milliards de francs aux finances publiques. Vexé, le gouvernement de la gauche « plus rien » de Lionel Jospin voulut démontrer que ses prédécesseurs avaient vraiment joué petit bras. Aussi procéda-t-il à la privatisation partielle ou intégrale de Bull, du CIC, de Thomson CSF, d’Air France, de Thomson multimédia et du Crédit Lyonnais. Ces pommes d’or furent soldées pour 240 milliards de francs, ce qui, vu leur valeur réelle, lui valut moult regards énamourés de la part des nouveaux propriétaires. (Cette chronologie des privatisations est redevable au délicieux Plan B.)
Présentement, la fusion de Suez et de GDF, permet de dire aux actionnaires de ce conglomérat de l’énergie que ça gaze pour eux. Dans les opérations de captation des biens publics par le privé, nous ne saurions oublier La Poste et la SNCF. La première est dans le viseur, alors que la seconde organise méthodiquement sa vente à la découpe, vu que tous les morceaux de la bête ne présentent pas le même intérêt pour des repreneurs potentiels. Les uns misant sur un développement de leur offre de transport, les autres – plus trivialement – étudiant l’opportunité de réaliser un coup financier.

La RGPP est une boîte à outils conçus pour casser la fonction publique
En version bibliothèque rose, les objectifs généraux de la révision générale des politiques publiques (RGPP) sont ainsi formulés : « Il s’agit simplement de faire la chasse aux structures superflues et aux procédures trop lourdes. Cette chasse, ça veut dire du temps gagné, de la dépense économisée, cela veut dire une administration qui répond plus vite » (Claude Guéant, secrétaire général de l’Élysée, dans un interview à France-Soir le 9 septembre 2008). Cette glu de mensonges ne colle guère à la vérité. En premier lieu, la RGPP vise à la réduction des services publics sur fond de suppressions massives d’emplois, de fusions menées au canon et de réorganisations à la hache. Bien entendu, toutes ces mesures ont des conséquences désastreuses sur les services de proximité (hôpitaux, maternités, bureaux de poste, écoles, etc.). Enfin, pour les personnels ayant survécu aux coupes claires dans leurs effectifs (après tant d’autres, plus de 30 000 postes de fonctionnaires seront supprimés en 2010), cela s’accompagne d’un bouleversement dans les règles de gestion et par une volonté à peine masquée de tailler en pièces le statut de fonctionnaire qui garantit son indépendance dans l’exercice de ses missions. Corrélativement, la RGPP permet au gouvernement de diminuer le nombre des syndiqués, sachant que la moyenne des encartés dans le secteur public, quoique faible, est nettement supérieure à ce qu’elle est dans le privé (15 % contre 5 %). Bref, encore du bonus pour essouffler un peu plus des luttes déjà bien asthmatiques.
N’oublions pas non plus qu’en supplément, la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) prescrit la mise en place d’« indicateurs de performance » basés sur une stricte logique comptable, car il importait, aussi, de singer jusqu’à la caricature les modes de pilotage et de gestion si prisés dans les grandes entreprises privées, par exemple le vénéneux « management par objectifs ».
Mais la fourberie des servants du capital va plus loin encore. La sauvage cure d’amaigrissement de l’État est un moyen supplémentaire d’engraisser les entreprises privées via une arnaque qui a pour nom « partenariat public privé ». Cédons à nouveau la parole au Plan B : « L’astuce consiste à confier le financement, la conception, la construction et l’exploitation d’un ouvrage public à un consortium réunissant un géant du bâtiment, des banques et des avocats. Rémunérés sous forme de loyers, les prestataires peuvent exiger de lourdes compensations en cas de remise en cause du contrat, à la suite par exemple d’une alternance électorale. Les PPP présentent de surcroît l’avantage d’“assurer une récurrence en termes de revenus sur plusieurs années” comme le dit avec émotion le directeur du pôle bâtiments d’Eiffage Concessions (Les Échos, 26 juin 2008). »
Enfin, il ne faut pas oublier le transfert des charges vers les collectivités locales. Dans un premier temps, les conseils régionaux et généraux roucoulèrent au vu des compétences nouvelles qui leur échurent. Mais les mêmes pleurnichent aujourd’hui, constatant que les moyens financiers accordés par le gouvernement ont incomplètement accompagné ce transfert de missions. À cet égard, la suppression de la taxe professionnelle n’est pas faite pour les rassurer, puisque les nouvelles sources de financement visant à la compenser baignent dans un flou artistique.

Dette publique et déficit budgétaire sont d’autres armes antisociales
Comme nous venons de le voir, la guerre sociale que mène le gouvernement contre les travailleurs du public et du privé couvre plusieurs fronts. Mais le gouvernement apporte les derniers réglages à une autre arme antisociale dont les effets seront terriblement destructeurs pour peu que nous en minorions la puissance dévastatrice.
Sa stratégie est pourtant cousue de fil blanc qui consiste à creuser délibérément la dette de l’État et à laisser filer tout aussi volontairement le déficit du budget public. Le « trou » se creuse ? Pourtant le gouvernement détourne les yeux devant la fuite des capitaux dans les paradis fiscaux (le montant estimé se situait entre 30 et 40 milliards d’euros en 2007). Pareillement, il a orchestré les réductions d’impôts jusqu’à se priver de 66 milliards d’euros par an depuis 2000. Itou, il s’est bien gardé de faire un inventaire des niches fiscales (le coût annuel pour la collectivité s’élève à 73 milliards d’euros) pour en éliminer les moins justifiées.
Après avoir décidé la levée d’un emprunt de 35 milliards, le 14 décembre, Sarkozy a cru bon de préciser ceci : « ses intérêts vont être immédiatement gagés par des économies supplémentaires sur les dépenses courantes de l’État » ; ben pour une découverte inattendue, en voilà une ! Toujours en veine de révélations épastrouillantes, le même a rajouté : « S’agissant de la Sécurité sociale, je confirme ma volonté d’ouvrir le débat sur une réforme des retraites en 2010 et de poursuivre la rénovation de l’assurance-maladie, car j’estime que rien ne peut expliquer que nous financions les dépenses de santé par la dette. » Répétons en boucle ce mantra : donner de plus en plus de fric aux riches et pressurer les travailleurs jusqu’à la dernière goutte, c’est bon pour l’économie, la planète, la justice sociale, le pouvoir d’achat et les marchands de… Rolex. Non, nul n’est tenté ? Alors préparons-nous à foutre notre poing sur la gueule des tartuffes de tous bords qui ne jurent que par le dialogue social. Mieux encore, n’oublions jamais que la rue est formidablement belle quand elle est investie par des millions d’exploités déterminés à faire rendre gorge aux puissants.