Pour un apéro géant à Téhéran

mis en ligne le 5 juin 2010
La secte des adorateurs du progrès technique, dont Jacques Prévert disait qu’il est « trop robot pour être vrai », nous a, souvenez-vous, barbés jusqu’à satiété avec la « révolution » que représentaient à ses yeux la venue et l’utilisation du système internet, présenté comme l’outil moderne libérateur, le lien sans intermédiaires entre tous qui allait assurer le triomphe de la démocratie directe, la liberté à portée de clavier.
Il s’est bien sûr trouvé des sceptiques qui, sans nier en bloc les aspects positifs de la Toile, osèrent tout de même émettre des doutes sur l’imminence d’un tsunami démocratique et d’un irrépressible renouveau de cette culture qui, selon les vœux de Fernand Pelloutier, devait tirer chacun vers le haut. Leur point de vue dubitatif se trouvera-t-il aujourd’hui quelque peu entamé avec la naissance du phénomène des apéros géants, permis par l’utilisation du réseau « social » Facebook ? Il faut craindre que non.
J’en connais quelques-uns. N’étant disposés à se prosterner devant personne, ils vous diront qu’ils n’ont pas à le faire devant des imbéciles incapables de rien faire autrement qu’en troupeau, sous prétexte qu’ils sont jeunes.
Ils prétendront, par ailleurs, que si l’on reproche à juste titre les 138 000 euros puisés dans l’argent public par un Estrosi pour la location d’un jet privé, on ne saurait admettre qu’en soient dépensés des centaines de milliers d’autres dans le nettoiement des places publiques transformées en immondes déchetteries pour le plaisir de crétins alcoolisés. Dans un discours tout droit sorti des profondeurs du XIXe siècle, ils affirmeront que, si goût pour le rassemblement il y a, l’état actuel de l’enseignement, celui du logement étudiant, celui de l’emploi des jeunes, tous calamiteux, pourraient en être de sérieux motifs…
Dans un discours perçu comme tout droit venu des profondeurs… Loin de ces aigris, les fidèles de la religion des temps présents – le jeunisme – et de ses rites savoureux – la déconne, le j’m’enfoutisme, le mépris envers tout militantisme, jugé ringard, le jack-languisme festif – songeront avec mélancolie à ces jeunes Iraniens qui, privés d’un réseau Facebook entièrement libre, et l’alcool demeurant interdit en pays d’islam, ne peuvent s’arsouiller collectivement en toute liberté et en sont réduits, avec des moyens dérisoires, à se donner des rendez-vous minables sous des prétextes futiles, comme le combat contre un pouvoir dictatorial…