Force vive ou jeunesse pourrie ?

mis en ligne le 1 novembre 1954

Nous vivons une époque où toutes les lâchetés sont permises. De nos jours, le mot à la mode, faisant cause commune avec toutes ces lâchetés, est le vieil adage (je dis bien vieil, car au temps de Voltaire, nous en parlions déjà) : « La jeunesse est pourrie »… De mon temps, etc… Superbe lâcheté entre toutes. Même les plus humbles y succombent.

Il est tellement facile de résoudre un problème par une phrase lapidaire. Au temps de Voltaire, cette phrase était-elle du moins accompagnée d'une justification. De nos jours, aucune justification (comme pour beaucoup de choses, du reste). Personne n'a le temps de s'arrêter. Nous sommes pressés.

Pourtant juges partiaux, souvenez-vous des problèmes qui vous tourmentaient durant votre jeunesse : salaire, vie sociale, loisirs, sexualité, et que sais-je encore. Ces problèmes sont demeurés les mêmes, peut-être encore avec plus d'acuité, aujourd'hui, et de tous temps, il en sera ainsi (du moins la fin n'en apparaît pas très proche). De vous aussi, le monde disait : jeunesse pourrie, parce qu'il était incapable d'examiner ces problèmes. Vous vous êtes révoltés. Et aujourd'hui ? Aujourd'hui, vous avez tout simplement oublié, c'est tellement plus aisé. Vous êtes tombés dans la molle béatitude : privilège des tempes argentées.

N'omettez tout de même pas de penser que, malgré que vous ayez atteint quelques années de plus, les problèmes de la jeunesse sont encore les vôtres (et là, je pense aux problèmes sociaux). N'oubliez pas que demain, ces jeunes d'aujourd'hui forgeront « les lendemains qui chantent » (car ces lendemains ne sont créés que par les barbus) et qu'au fond il est de votre devoir de les comprendre et de les aider surtout.

Vous pourrez rétorquer « mais en quoi cela m'importe ? » Oui, évidemment, mais en ce cas avouez que vous êtes d'une « incontestable inutilité » et ne vous étonnez pas si depuis votre berceau vous ramassez des coups de pieds bien placés. Ils vous sont presque nécessaires et constituent votre « raison sociale ».

Michel Rigal