32e Festival de Films de Femmes de Créteil

mis en ligne le 29 avril 2010
Le Festival de films de femmes de Créteil était placé cette année, comme celui de 1998, sous le signe de l’Afrique. La section principale des œuvres présentes s’intitulant Trans-Europe- Afrique. Beaucoup de films (une majorité de documentaires sur ce thème) souvent intéressants, plus notables par leur contenu que par leur forme.
Rien qu’on ne connaisse déjà, hélas, du sous-développement de ce continent.
Mais d’être mis en images, et portés par des individus à la fois dominés et en lutte, comme sur la ruralité, dans la version restaurée de la Lettre paysanne de Safi Faye (Sénégal, 1975), et sur l’immigration clandestine, dans le court-métrage Le Cri de la mer d’Aïcha Thiam (Belgique, Sénégal, 2008), autour d’une femme pleurant la mort de son fils, et Hôtel Sahara de Bettina Haasen (Allemagne, 2008), ces témoignages nous bouleversent.
Dans le film de Safi Faye, on constate – ce que souligne humoristiquement un des personnages, suggérant à la cinéaste qu’un tel tableau ne peut que faire rire les Blancs quant à la vie des Noirs – que les femmes de ce pays travaillent toute la journée de leurs mains : l’enfant pendu au sein, elles tressent des paniers, trient les ingrédients du repas ou pilent les céréales… L’exploitation par les Africains riches de celui qui vient chercher du travail en ville, embauché comme homme à tout faire pour une journée, puis renvoyé sans salaire sous un vague prétexte en attendant qu’un autre miséreux se présente, est encore plus grossière et criante que dans nos pays. En effet, la corruption des gouvernants et des institutions – ce qui est rappelé par la communauté villageoise sous l’arbre à palabres (seule splendeur de ce panorama désolant) – n’est limitée par aucune réglementation, aucun contre-pouvoir. Car le nœud central de ce dénuement réside, comme le rappellent les altermondialistes et les partisans de la décroissance, en ces pressions exercées sur les paysans, avec promesse de profits qu’ils ne verront jamais, pour qu’ils abandonnent leurs cultures vivrières de base pour d’autres ; ici l’arachide, réservée à l’exportation. Peu à peu, les subventions associées à cette culture se réduisent, disparaissent, ainsi que la remise des dettes promise. Et les gens sont ruinés, n’ayant même plus de quoi se nourrir.
La réalisatrice, présente lors de la projection, rappelle justement que ce film concerne tous les agriculteurs : il a été accueilli avec enthousiasme et gratitude dans le monde entier.
Je venais justement de voir le superbe documentaire de Dominique Marchais sur la condition paysanne française : Le Temps des grâces (2009). Les dérives et pressions, et les dégâts en fin de parcours, sont d’une forme et d’une gravité inégales, mais proviennent de la même idéologie : pousser le paysan à s’endetter pour des productions qui dépassent largement les besoins locaux, l’emprisonner dans la logique libérale d’une l’exportation – rentable, mais pas pour lui – en restant indifférent à sa chute quand il ne peut faire face, contraint de se séparer de son troupeau, de ses terres, ou comme un des protagonistes interviewés, très lucide, d’exercer un second métier.
Dans Hôtel Sahara, où le rythme des entretiens est un peu languissant et les propos répétitifs, certaines vérités sont dévoilées ; le mythe d’une carrière prestigieuse dans le football, par exemple, qui pousse un jeune homme, comme sans doute bien d’autres, à attendre de longs mois un problématique et périlleux passage en Europe depuis le centre d’hébergement mauritanien de Nouhadhibou ; ou les propositions de prostitution réitérées aux jeunes femmes qui y sont en attente, avec d’autres illusions.
Plus tonique est ce beau film – Africa Is a Woman’s Name (Espagne, 2009) – constitué de reportages sur trois Africaines de milieux et pays différents : une villageoise du Zimbabwe, une directrice d’école d’Afrique du Sud et une procureure du Kenya.
La dernière partie autour de celle-ci est époustouflante de gravité et d’humour, avec une leçon de close-combat féministe et les recommandations prodiguées par Ndjoki Ngund’u, élue personnalité de l’année 2006 par l’ONU, aux adolescentes d’une classe sur leur destin de femmes, et sur la nécessité d’être autre chose qu’un objet sexuel et une servante, en se constituant une carrière et des centres d’intérêt autonomes.
En revanche, peu convaincant est le court-métrage Bricks, Beds and Sheep’s Heads, de Imelda O’Reilly (Irlande, Maroc, 2009) sur fond de voix off à prétention poétique, répétitive et incohérente, sur l’agonie interminable et insupportable pour le spectateur d’un mouton égorgé pour l’Aïd el-Kebir.
On s’interroge sur les raisons d’un tel choix. Négligence, complaisance ? Ou encouragement à une étudiante, puisque le film a été payé par l’université de Colombia ?
En dehors de ce cycle, on remarque deux très belles œuvres : le documentaire réalisé par Simone Bitton, sur la vie et la mort de Ben Barka – Ben Barka, l’équation marocaine (France, Belgique, 2001).–, remarquablement construit à partir d’archives et d’entretiens sobrement et intelligemment commentés, qui nous restitue en fait l’histoire marocaine, française et internationale d’un demi-siècle. Tout est dit de ce destin d’un résistant radical, depuis la fondation du journal El Ahram jusqu’à celle de l’Istiqal dont il se détachera en créant un autre parti : le FNP.
Innocenté dans l’affaire du complot contre le roi, il préfère s’exiler en France où il milite internationalement, en particulier pour la Tricontinentale (il fut le président du Comité préparatoire de l’unique session, qu’il ne verra pas). Cet engagement – soutenu officieusement par de Gaulle – provoquera sa perte, comme le rappelle un responsable du comité Curiel, qui décrit Ben Barka comme un homme remarquable et profondément solitaire.
Même travail d’archives sur plusieurs années dans l’étonnant Rossia Hôtel d’une jeune réalisatrice, Anne Abitbol (France, 2008), sur la destruction du palace moscovite, monde en soi érigé en 1964 à la gloire de l’URSS, sur fond de voix off, la sienne, bien légère pour un si grave sujet (dans le débat qui suivit, interpellée là-dessus, elle a justifié son choix, après moult tâtonnements, comme le moins mauvais possible…).
Le montage est fort, avec des brèches de rêverie et de joies singulières autour de l’utopie collectiviste, comme cette promenade de deux femmes, allègres et rieuses, dans un parc de Moscou (images découvertes dans des collections privées de « huit millimètres »).
Plans poétiques, en plongée, sur le Kremlin, longs travellings sur l’immensité des couloirs de l’hôtel, qui font songer à Playtime de Tati…, juste avant que n’intervienne précisément ce cinéaste, opposant à la grandeur des édifices la difficulté des vies individuelles – sujet central de son propre film. Et dialogues avec les ultimes gardiens de ce temple touristico-politique, en particulier lors de la séquence émouvante d’un employé chantant l’âme de la Russie en s’accompagnant à la guitare… Et aussi une étonnante interview de Poutine en petit comité, filmée marginalement par un journaliste télé, compagnon d’Anne, au cours d’une émission sur le gaz d’Ukraine…
On est partagé entre l’émotion provoquée par la disparition d’un symbole, qui coïncide avec celle d’un grand espoir révolutionnaire, et la révolte devant un tel gâchis dans un pays dévasté économiquement. Ce que souligne l’architecte à l’origine de cette création colossale, dénonçant l’absence d’idée, de projet d’une telle destruction.
Œuvres de moindre envergure : Rewind, de Liza Key (Afrique du Sud, 2009) sur l’élaboration d’une cantate à partir des cris et larmes des parents de victimes de l’apartheid, témoignant devant la Commission vérité et réconciliation, où on peut regretter que la belle musique du compositeur sud-africain Philip Miller, lors de répétitions comme de concerts, n’ait pas tenu une plus grande place.
Et aussi, Tobacco Girl, de Biljana Garvanlieva (Allemagne, 2009) sur la condition de jeunes Turques, filles à marier et à vendre dans les plantations de tabac de Macédoine.
Enfin, le saisissant Nashi, de Daya Cahen (Pays-Bas, 2008) sur un camp de jeunesse pro-Poutine où tout – tenues, propos, expressions des visages habilement captées par la caméra – conteste humoristiquement, mais à donner froid dans le dos, l’antifascisme religieusement proclamé !
Cette session a donc été dominée par les documentaires. Par les temps qui courent, vu la médiocrité des fictions du circuit commercial, on ne peut que s’en réjouir.
Car plus que de divertissement consensuel, c’est de réflexion et de culture – ici essentiellement politico-historique – que nous avons le plus besoin.