Police partout ! Hortefeux… à volonté !

mis en ligne le 29 avril 2010
1593Police3« Placé au service public, le fonctionnaire de police se comporte envers celui-ci de manière exemplaire. Il a le respect absolu des personnes, quelles que soient leur nationalité ou leur origine, leur condition sociale ou leurs convictions politiques, religieuses ou philosophiques. » (Code de déontologie de la police, article 7)
Il faut en être persuadé : les deux dernières années qui nous séparent de la prochaine élection présidentielle vont se dérouler sous le signe de la constante présence policière dans les rues, comme à la porte des entreprises ou dans les gares. Rien de tel pour confectionner l’électorat dit populaire et l’inciter à faire le bon choix. S’il ne faut pas encore crier au secours, il convient néanmoins d’être très vigilant car nous ne sommes que des « individus », tous placés sous haute surveillance. En effet, entre l’État policier qui fait régner la terreur et la pression policière qui permet de laisser croire que la démocratie n’est nullement menacée, il y a cette illusion que les libertés fondamentales ne peuvent qu’être protégées par les forces de l’ordre.

De nombreuses variétés de policiers
Depuis l’été 2002, l’empilement de lois sécuritaires est tel qu’il ne devrait plus y avoir un seul délinquant, ou supposé tel, en liberté dans notre belle France des droits de l’Homme. La dernière loi en date concerne la violence des bandes organisées mais, finalement, le simple fait d’appartenir à un groupe de jeunes devrait suffire pour craindre les foudres de la loi. (Lecteurs du Monde libertaire, assurez vos arrières car, même sans l’avoir imaginé, vous faites partie d’une dangereuse équipe de fauteurs de graves troubles.) Pour parfaire ce climat délétère, la multiplication des caméras de surveillance, censées suppléer le manque de policiers, aurait pour objet de faciliter leur lourde tâche. Il en va de même de ces fichiers informatisés de plus en plus performants, mais également bourrés d’erreurs. Si nous voulons bien nous mettre à l’écoute des lamentations de ceux qui cèdent au discours sécuritaire, il semblerait que la France profonde soit plongée dans la peur.
Il y a là un paradoxe. En un temps où la demande sécuritaire serait la plus forte, la Révision générale des politiques publiques (RGPP) prévoit la suppression d’un poste sur deux de policiers partant en retraite. En contrepartie, semble-t-il, Nicolas Sarkozy expliquait, il y a peu, que de nouvelles missions pourraient être confiées aux vigiles, salariés des sociétés privées de sécurité. Ce qui n’a rien de rassurant. Nous savions déjà, à l’usage, que les fiers-à-bras, qui arborent fièrement sur leur vareuse leur appartenance à la « sécurité », peuvent être bien plus dangereux que les fonctionnaires de la police nationale. Ils ont déjà des chiens, mais si l’on s’aventurait à les doter d’une arme, il faudrait s’attendre au pire. Cette tendance ne fait que se vérifier depuis qu’ont été créées des polices semi-privées comme celle de la RATP ou la Suge (police des chemins de fer). Finalement, la volonté paraît forte de transformer en flics de complément un maximum de citoyens de ce pays.

Les bons services à la rescousse
Régulièrement, les médias ne cessent de revenir sur l’insécurité qui régnerait au pays de la liberté. Le traitement journalistique de ce sujet majeur n’est jamais innocent, et les pousse-au-crime se bousculent au portillon, particulièrement sur les différentes chaînes de télévision. Ainsi, le 13 avril, sur France 5, dans l’émission « C dans l’air », animée par le très sécuritaire Yves Calvi, le récurrent sujet sur le trafic de drogue dans les cités était à l’honneur, avec incitation à une répression accrue. Parmi les intervenants, le pseudo-criminologue Xavier Rauffer (jadis familier des milieux d’extrême droite) s’appliquait à démontrer la nécessité sécuritaire de la chasse aux petits dealers de cannabis, face au maire de Sevran (93) qui tentait de lui expliquer que la légalisation de cette substance permettrait de faire cesser son trafic, avec les conséquences qui en découlent actuellement. À côté de cet ex-facho repenti pontifiait Bruno Beschizza, récemment élu conseiller régional de Seine-Saint-Denis, au titre de l’UMP mais toujours secrétaire général du syndicat sarkoziste Synergie-officiers. Ces deux compères appelant de leurs vœux une répression accrue, indispensable pour la protection des bons citoyens, lesquels ne peuvent que souffrir de la présence de ces bandes qui troublent l’ordre public. Il convient de rappeler qu’au cours de la campagne pour l’élection présidentielle de 2002, Yves Calvi, déjà lui, n’avait de cesse de participer à cette campagne sécuritaire qui allait permettre à Jean-Marie Le Pen d’être présent au deuxième tour.
Curieusement, ce qui intéresse la police au premier chef, ce n’est pas de traquer les casseurs de banques ou ceux qui « secouent » les distributeurs automatiques de billets de banque (DAB). Très récemment, le 28 mars 2010, des perceurs de muraille dévalisaient une agence du Crédit lyonnais, avenue de l’Opéra à Paris, et partaient sans difficulté avec le contenu de cent cinquante coffres privés. Le 4 avril, une autre équipe devait s’attaquer à une agence de la BNP-Paribas, avenue d’Italie, mais sans succès cette fois-ci.
Dans l’un et l’autre cas, il ne semble pas que la police se soit acharnée à retrouver ces Arsène Lupin modernes. De même des cinq braqueurs qui, dans la nuit du 3 au 4 avril dernier, avaient dévalisé un casino à Lyon. Il est également très rare que les arracheurs de DAB soient retrouvés. Nos policiers ont d’autres urgences : partir en chasse contre les jeunes ghettoïsés de nos banlieues qui, de rejet en chômage, et même en passant par des stages bidon, finissent par plonger dans l’économie parallèle, conduisant fréquemment à la petite délinquance.

Opérations « coup-de-poing »
Il est donc possible de conclure que la priorité de la police n’est pas de poursuivre les équipes du grand banditisme. De plus, les authentiques malfrats sont parfois lourdement armés, et les policiers, qui ont pour vocation de protéger la veuve et l’orphelin – et le grand capital –, n’ont aucune raison de risquer leur vie, ce qui peut se comprendre. Bien moins risquées sont ces opérations, telle celle qui s’est déroulée à Champigny-sur-Marne (94) dans l’après-midi du 12 avril. Ce qui s’est passé en plein jour, à la cité des Boullereaux, illustre bien la volonté du pouvoir de maintenir constamment ces opérations « coup-de-poing », là même où il ne se passe presque rien – y compris dans les quartiers dits « sensibles ». Ce 12 avril, pas moins de deux cents policiers, habillés en robocop, appuyés par un hélicoptère, s’abattaient sur la cité. Résultat des courses, moins de deux kilos de cannabis saisis, des armes de poing non définies et une petite somme en euros. Certes, les quinze personnes interpellées n’étaient pas des enfants de chœur, mais cela n’avait rien à voir avec le grand banditisme. Rapidement, les médias relayaient les services de police pour indiquer les raisons de l’échec des archers du roi : une taupe infiltrée dans la police, adjointe de sécurité, aurait prévenu les petits dealers. Pauvre argument pour laisser croire que, malgré sa bonne volonté, notre valeureuse police avait été trahie par une sous-ordre, qui paiera sans doute très cher son inconséquence.
En d’autres circonstances, les résultats sont plus conséquents, comme à Tremblay-en-France (93) le 29 mars. Ce jour-là, presque parallèlement à l’émission « Haute Définition », diffusée sur TF1, les policiers interpellaient quatre dealers et pouvaient se saisir d’une certaine quantité de stupéfiants, d’armes et de plus 900 000 euros. Quoi que l’on puisse penser de ces dealers et du trafic de drogues, il convient de s’étonner du rôle joué par des journalistes dans cette opération. Ce jour-là, la descente de police avait lieu quelques heures avant la diffusion de ce « reportage », mais il avait été possible aux responsables de la police judiciaire de le visionner à plusieurs reprises. Il en va de même de la série « Les Infiltrés », diffusée sur France 2, dont les animateurs ne manquent pas de nous expliquer que « dans les cas extrêmes », les journalistes peuvent servir d’informateurs à la police. Ah bon ?
Il n’est pas rare que dans les mairies de gauche, on se lamente sur le manque de commissariats ou sur le peu de moyens donnés à la police pour régler les problèmes nés du trafic de drogue. Tout en se félicitant, comme à Saint-Denis, lorsqu’un nouveau commissariat se mettait en place près de la gare. Ces braves gens qui, eux aussi, ne connaissent qu’une réponse policière aux problèmes de société, participent à leur manière au développement de cette société policière censée les protéger.
Notons, malgré tout, que les jeunes des banlieues ne constituent pas l’unique obsession de notre police nationale. Pour compléter utilement leur activité et justifier un salaire bien mérité, il y a aussi la traque aux sans-papiers. D’où ces contrôles au faciès, qui ne seraient en rien racistes, qui permettent de peupler les centres de rétention, avant expulsion. Dans le même temps, les militants solidaires se retrouvent également dans l’œil du cyclone sécuritaire.

Sarkozy s’engage « personnellement »
Revenons à notre propos initial : remettre l’insécurité en première ligne des préoccupations des bons citoyens. Faute de trouver une solution satisfaisante au problème des retraites, par exemple, la présence dans les rues des uniformes bleus, en nombre conséquent, devrait rassurer. Pour faire bouillir la marmite, on verrait plus tard. Pour l’exemple, c’est l’emblématique département de la Seine-Saint-Denis qui devrait servir de laboratoire. Le cas de Bruno Beschizza, cité plus haut, est déjà suffisamment éloquent mais il convient de signifier, encore plus nettement, la volonté de Nicolas Sarkozy de placer les hommes de son sérail partout où leur action sera particulièrement visible. C’est ainsi que le 7 avril dernier, en Conseil des ministres, est intervenue la nomination du nouveau préfet de Seine-Saint-Denis, Christian Lombard, qui a un lourd passé répressif derrière lui. Ce « grand flic », comme on dit, a été patron du Raid, mais également directeur central des CRS. Cette nomination, intervenue peu après la défaite de l’UMP aux élections régionales, est tout à fait signifiante. Il est vrai que, dès le 24 mars, Nicolas Sarkozy avait prévenu qu’il était décidé « à s’engager personnellement » dans le domaine de la sécurité et cela « sans aucune concession ». Ajoutant même, pour être certain d’être bien compris : « Ceux qui attendent ou espèrent une réaction ferme de ma part ne seront pas déçus ! »
Nous sommes effectivement au parfum, comme disent les truands. En fait, ce que le président de la République veut faire pour le « 93 » , il est en capacité de le faire à l’échelon national. Son passage au ministère de l’Intérieur et, tout autant, ses intentions proclamées depuis son arrivée à l’Élysée suffisent à nous faire comprendre à quelle variété d’humaniste nous avons affaire. En 2002, il proclamait son mépris des « droits-de-l’hommistes ». En 2010, c’est la population tout entière qui est placée sous haute surveillance.