Vive l'anarchie !

mis en ligne le 26 novembre 2009
La lecture de l’interview du philosophe Michel Onfray dans Siné Hebdo du 28 octobre m’a laissé un goût amer. Je ne connais ce monsieur qu’à travers les articles de ce journal, et, jusqu’à présent, il me semblait quelqu’un de très imbu de sa personne, prétentieux, donneur de leçons et distributeur de bonnes ou de mauvaises notes, d’un M. Je-sais-tout. Cette fois-ci, « le philosophe » s’est surpassé et dans tous les domaines. Déjà, quand il parle de son enfance vécue dans la pauvreté et la misère entre un papa ouvrier agricole, une maman femme de ménage et un frère, c’est pour mieux nous prouver que sa « réussite » n’est due qu’à lui-même, à son exceptionnelle intelligence. C’est à pleurer. Tout sonne faux surtout quand il se raconte : « J’ai appris que ceux qui n’avaient pas d’argent pouvaient s’inscrire à la fac. » Saisissant ! Mais combien peuvent encore aujourd’hui aller au bout de leur cursus universitaire ? Comme s’il suffisait de pouvoir s’inscrire à la fac pour que, miraculeusement, les inégalités soient gommées et que la réussite soit au rendez-vous !
Je pense que l’analyse de ce penseur qui se présente comme « un libertaire qui vote », n’a pas grand-chose à voir avec l’anarchisme. Si, dans chaque individu, il y a l’apport personnel, l’inné (son capital génétique), il y a surtout l’apport collectif et le vécu social. C’est tout cela qui fait l’individu. Onfray semble vouloir l’ignorer. Même si plus tard, dans son parcours professionnel, il fait référence à Condorcet, Foucault, Alain, Deleuze, Bakounine et Proudhon… qui ont, dit-il, nourri son esprit libertaire, je pense qu’il n’est en rien libertaire comme il le dit, mais un marxiste « attrape-tout », qu’il manie très bien la dialectique et ses contradictions en pillant et en interprétant les écrits des penseurs anarchistes, comme Marx a pu le faire en son temps. J’en veux pour preuve, la réponse qu’il fait à la question : «Plus globalement, comment croyez-vous qu’on puisse sortir de la crise ? – Par le capitalisme libertaire ». Il commence par fustiger une partie des anarchistes qui seraient des « dogmatiques, des curés, des croyants plongés dans leur catéchisme, qui croient que la vérité historique dialectique d’un moment est éternelle, qui répètent : “Bakounine a dit” ». Mais le philosophe libertarien, expert en détours théoriques et en philosophie marxiste, cite au moins par deux fois Proudhon; il s’en nourrit pour mieux le dénaturer comme Marx, son maître à penser. Sur la question du capitalisme, Onfray explique : « Si on garde le principe du capitalisme, c’està- dire la production des richesses par des moyens privés, et qu’on lui ajoute la répartition des bénéfices sur un principe libertaire, cela ne me paraît pas du tout impossible. Demandez à Proudhon, ma référence en la matière. » Ce qu’il propose, c’est de conserver le capitalisme sans l’État afin de faire perdurer l’économie de marché non entravée par ce dernier où les individus passeraient des contrats « librement conclus » entre individus égaux devant la loi et rémunérés selon le marché. Il pense également que l’égalitarisme est un leurre et que dans sa « société capitaliste libertaire » tous les autres droits sont superflus.
Sur les questions de l’ordre et de l’autorité, il affirme « que dans la société capitaliste libertaire les deux concepts sont nécessaires et défendables d’un point de vue libertaire. Là encore, lisez ou relisez Proudhon ». C’est sans doute pour cela que notre libertarien doit faire partie de cette mouvance « minarchistes » partisan d’un État réduit à des fonctions régaliennes minimales : l’armée, la police et la justice, juste ce qu’il faut pour « assurer la sécurité » des personnes et des biens. En employant des concepts comme suppression de l’État et en associant « capitalisme » et « libertaire » il crée volontairement le trouble et la confusion dans les esprits. On ne peut laisser passer pareille imposture intellectuelle. Contrairement aux anarchocapitalistes ou aux capitalistes libertaires ou libertariens, les anarchistes sont pour la suppression totale et entière de l’État et refusent toute autorité. Ils ont depuis toujours combattu le capitalisme et l’économie de marché. Ils ne souscrivent pas à l’idée de la propriété que défend le capitalisme. Ils militent pour l’expropriation du patronat et la prise en mains par les travailleurs de leurs outils de travail. Tous ces points sont fondamentaux et inséparables. Tout comme les anticapitalistes du NPA qui militent pour un capitalisme d’État, les réformistes du Parti socialiste et du Parti communiste qui ont opté pour un capitalisme à la sauce sociale-démocrate, les anarcho-capitalistes, les capitalistes libertaires ou libertariens respectent deux constantes: sauvegarder le système capitaliste et dénaturer pour les détourner de leur sens les idées anarchistes qui sont les seules à pouvoir permettre au peuple de se libérer de toutes ses tutelles.
La phraséologie pseudo-révolutionnaire employée par les politiciens et certains économistes ou philosophes n’a pour but que de tromper le peuple et de le maintenir sous le joug de l’exploitation capitaliste, de l’esclavage salarial. Contrairement aux idées anarchistes qui valorisent l’individu en lui proposant de se libérer de ses chaînes et d’édifier une société libre, en associant sciemment capitalisme et libertaire, Onfray sait pertinemment qu’il va tromper et créer la confusion dans les têtes. Or, il n’y a qu’une sorte de capitalisme : et même associé aux mots libertaire, vert ou anarcho, le capitalisme sera toujours le capitalisme, il s’appropriera toujours les moyens de production pour voler et exploiter les travailleurs. Par contre, il y a deux sortes de libertaires. Ceux qui se prétendent libertaires mais qui ne sont que des libertariens parce que comme le fat philosophe, ils veulent conserver le capitalisme, maintenir la production des richesses par des moyens privés et redistribuer une partie des bénéfices selon un principe prétendument libertaire. Vouloir concilier les deux concepts, « capitalisme » et « libertaire » relève de la manipulation intellectuelle. Il le sait le bougre. Il y a bien sûr les libertaires, ceux qui militent pour la disparition totale de l’État, l’expropriation du patronat et de tous leurs satellites qui représentent l’autoritarisme. La différence est fondamentale. Pour les libertaires, le principe de la liberté est le point essentiel. Ils veulent une société qui assurera à tous le bien-être par la mise en commun des moyens de production, de distribution et d’échange de toutes les richesses créées. Cette mise en commun à la base garantira à tous une juste répartition des richesses puisque tous auront travaillé dans la mesure de leur force manuelle et intellectuelle à leur production. Cette nouvelle société expropriera les capitalistes et tous ceux qui vivent en exploitant le travail d’autrui.
Il y a loin, très loin du communisme libertaire, c’est-à-dire anarchiste, au « capitalisme libertaire » dont notre expert en affabulations fait une propagande éhontée. Le prestidigitateur tente de faire d’une pierre deux coups. D’un côté, il veut lui aussi refonder le capitalisme et de l’autre il veut dénaturer les principes libertaires pour avoir les mains libres et tenter de discréditer les idées anarchistes tout en s’en réclamant. Avec un tel discours, il est quasiment certain que l’ambitieux personnage entrera sans tarder dans la grande famille sarkozienne et que Petit Corps Malade en fera un excellent ministre qui pourra mettre toutes ses compétences au service du capitalisme. Compagnons, nous avons encore du pain sur la planche !